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sur nos assises rurales et sont séparées, à peine de notre paysan-petit-propriétaire, déjà à demi bourgeois par son goût du travail, de l’économie, par son conservatisme fondamental, avec son âpreté au gain et à l’épargne, où apparaît, qu’on le veuille ou non, bien plus que dans le luxe du riche, le véritable, capitalisme. Si cette observation est exacte, Gambetta, fils du Midi, fils de la province, aurait tout simplement découvert l’avenir dans la forte ossature traditionnelle de ce pays si foncièrement latin et rural et où le mot capital veut dire troupeau. Son fameux discours sur les « nouvelles couches » aurait mis à nu les bases de la Société française.

Quoi qu’il en soit, ce sont ces « nouvelles couches » appelées au pouvoir par la voix de Gambetta qui ont fondé et défendu la République, qui ont mené les campagnes de l’enseignement et de l’anticléricalisme, qui ont préféré régler une à une « les questions sociales » plutôt que d’aborder d’un bloc la question sociale, qui ont géré les intérêts du pays, depuis 1870, en apportant, dans nos affaires financières, l’esprit d’ordre et d’épargne, dans nos affaires diplomatiques, l’esprit de fidélité et de loyauté, dans nos affaires coloniales, l’esprit de prévoyance et de persévérance, qui ont fait de la « riche » France la maîtresse des capitaux mondiaux, qui se sont assuré, par la netteté et la loyauté de leur conduite, l’estime universelle et une sorte d’autorité exemplaire, jusqu’au jour où, l’ennemi héréditaire tombant sur elle, la France de la République a combattu héroïquement et, avec le concours de ses Alliés, a vaincu. Les « nouvelles couches » de Gambetta ont été, à tous les points de vue, capables de la grande guerre. Elles ont rendu l’Alsace-Lorraine à la France. En leur confiant la machine politique, le tribun ne s’était pas trompé.


III

Il est autant de manières d’aimer sa patrie qu’il est de patries diverses. Regulus a une autre inspiration que Jeanne d’Arc. Guillaume Tell est autrement patriote que le chevalier d’Assas. Gambetta vint en un temps où la France devait être aimée d’une manière nouvelle, en raison de tout ce qu’elle avait souffert.

C’était la France de 1871, la France malheureuse, très