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en prennent à leur aise. La petite Dombrowski trompe le sien à tour de bras. Et les jupes devenaient toujours plus courtes et plus légères, et les jambes, de moins en moins cachées, frétillaient davantage d’une démangeaison de danse. Berlin devenait un casino.


Tous les théâtres jouaient, et partout des concerts ; cafés et cinémas ruisselaient de lumières et refusaient du monde. Si on n’avait pas su que c’était la guerre, on ne s’en serait jamais douté à voir, à la tombée de la nuit, cette foule avide de spectacles qui se pressait dans les rues. Élégances en robes de soie, montées sur de hauts talons. Encore pas mal d’hommes qui n’étaient pas en feldgrau. Aux vitrines des magasins, des étalages d’étoffes coûteuses, les chapeaux des formes les plus nouvelles. Au fîve o’clock des grands hôtels, des orchestres entraînants : partout une vie presque fébrile. La physionomie de la capitale ne montrait nulle trace de cette fatigue et de ces rides qu’aurait dû y graver le terrible sérieux de cette troisième année de guerre. Et pourtant, à y regarder de près, comme on les découvrait ! Toute cette agitation n’était pas la franche et joyeuse activité d’une grande ville. C’était un vain essai pour retenir le passé, la fièvre de gens qui ont tout perdu et se donnent l’illusion d’avoir arrêté le temps.


Et plus le dénouement approche, plus le besoin de s’étourdir et d’oublier fait rage : plus l’Allemagne est emportée par un vertige de plaisir. La place me manque malheureusement pour résumer l’épisode de la ville d’eaux, pendant le dernier été de guerre. L’histoire de Mme Sicbenrath, la femme sur le retour, qui se coiffe d’un bel officier et perd la tête de jalousie, tandis que sa fillette, plus pratique, fait le siège d’un vieux monsieur, peint le désordre de l’Allemagne : « Monde renversé ! monde renversé ! » se répète la malheureuse avec honte et terreur. Et, voulant s’endormir, elle s’empoisonne avec une dose de véronal. Il y a bien aussi l’histoire des prisonniers français et du ménage qu’ils font avec les femmes du village, et le tour que leur joue le vilain bossu jaloux, et la revanche des commères qui le bernent, le soûlent et le déshabillent pour le badigeonner en vert : un vrai fabliau rustique, une farce de Maupassant voisinant avec le drame…

Mais j’ai hâte d’en venir aux dernières scènes du livre et à ce qui en forme l’épilogue. « A l’enthousiasme des débuts a succédé le découragement de la deuxième année ; puis est venue