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nouveaux facteurs sont intervenus : l’invasion des Juifs de Russie, l’organisation des orthodoxes par les Allemands, la pénétration des idées communistes et bolchévistes dans la masse juive. Et si je ne me trompe, c’est sur le terrain politique que la lutte s’engagera en Pologne entre chrétiens et israélites, et l’issue de cette lutte ne nous est pas indifférente.

Un professeur de l’Université de Lwow, qui n’est rien moins qu’un fanatique, me disait à ce sujet : « Le sentiment qui nous anime contre les Juifs n’est inspiré ni par la différence de race, ni par la différence de religion. Notre ville a commencé d’être une tour de Babel au milieu du XIIIe siècle ; elle a accueilli les réfugiés de toutes races et de toutes confessions : marchands allemands et Juifs hérétiques (Karaïtes), Tatares, Sarrasins et Arméniens. La tolérance ethnographique et religieuse est chez nous une vieille tradition. Mais ce que nous ne devons pas supporter, c’est que des gens à qui nous avons donné asile travaillent chez nous pour nos ennemis. Les Juifs ont soutenu la cause des Allemands de Vienne, ils soutiennent aujourd’hui celle des Ukrainiens. Durant les dernières semaines, lorsque les troupes bolchévistes se sont avancées en Ukraine, qu’avons-nous vu ? dans chaque ville, dans chaque village, les gens de Moscou déléguaient leurs pouvoirs à des Juifs galiciens. On vient d’arrêter à Lublin et aux environs toute une bande d’agents bolchévistes : encore des Juifs. Nous ne nous faisons pas d’illusion : les Juifs se considèrent désormais comme supérieurs à nous, ils se sentent plus forts que nous et aspirent à nous gouverner. Nous ne ferons pas de pogroms, nous ne nous abandonnerons pas, — comme disent quelques journaux anglais, — aux fureurs de l’antisémitisme. Mais nous nous défendrons. »

J’ai trouvé à Cracovie un état d’esprit analogue. « Nous avons vécu longtemps, — me disait un architecte de cette ville, — dans la persuasion que les Juifs, ou bien en se développant deviendraient Polonais, ou bien en s’immobilisant dans leur ignorance et dans leur misère, resteraient inoffensifs. Ce dilemme était faux ; les Juifs se sont civilisés et enrichis, mais ils ne se sont pas assimilés. Quand je me suis établi à Cracovie, aux environs de 1865, la population israélite était presque tout entière enfermée dans le ghetto. En trente ans, j’ai vu s’élever et changer de classe plus de mille familles juives, dont les chefs actuels sont avocats, médecins, banquiers, grands