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beaucoup de blonds et de roux, le poil très fin de la barbe et des papillotes naturellement frisé ; les plus petits garçons sont vêtus comme les hommes et semblent marcher sur les pans de la redingote qui les enveloppe comme une robe. Des femmes grasses, à la chevelure abondante et sale, s’étalent au seuil des boutiques ; des fillettes en haillons multicolores montent du ravin, rapportant de l’eau dans des bidons à pétrole. L’ont-elles puisée au Cédron ? remontent-elles vers Jérusalem ? mais on lève le nez, et l’on aperçoit, dressées dans le ciel, les haches de justice qui surmontent les quatre tourelles du château : car du vieux château de Lublin, le gouvernement russe a fait une prison.

Ce qui frappe dans toutes ces physionomies, qu’on imaginait volontiers humbles et sournoises, c’est un air d’assurance et comme de défi. « Désormais nous sommes les plus forts, et demain nous serons les maîtres, » voilà ce qu’on croit lire au fond de ces yeux ardents et durs.

Leurs enfants ont déjà leur audace hautaine,

j’ai retrouvé ce vers d’Athalie en regardant les petits Juifs groupés devant la porte du couvent des Dominicains, et daignant à peine s’écarter pour livrer passage à un religieux qui rentrait chez lui. La porte refermée, ils jouèrent à l’enfoncer, poussant le battant de toute la vigueur de leurs poings et de leurs épaules…

Le mépris et la haine du chrétien en général, du Polonais en particulier, tel m’a paru être le sentiment qui anime et domine la masse des Juifs de Pologne. Les Polonais le leur rendent bien. Plusieurs fois, au moment de traverser en automobile le faubourg juif d’une petite ville, j’ai vu le chauffeur polonais mettre en souriant sa voiture à la quatrième vitesse, dans l’espoir de « bousculer un peu cette vermine ; » et nous passions à toute allure au milieu des poings menaçants et des bouches vociférantes. La politique russe, puis la guerre, ont fait des Juifs les ennemis de la Pologne : mais, sans les Russes et sans la guerre, ils seraient restés en Pologne des étrangers.

Quelle leçon d’histoire qu’une visite au vieux cimetière juif de Lemberg ! C’est, au Nord-Ouest de la ville, un jardin perdu ; les plus anciennes tombes datent du XIVe siècle. La partie orientale du cimetière est occupée par les Karaïtes ; au centre, les rabbins, les grands prêtres et les « prophètes » (rabbins