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— Et lequel est Witos ?

— Celui qui n’a pas de cravate. Une seule fois, Witos a consenti à nouer une cravate autour de son col : c’était pendant la guerre, pour aller en Suisse. Si l’on voulait éviter des ennuis à la frontière, il fallait avoir l’air d’un bourgeois : Witos se résigna à ce déguisement.

L’homme sans cravate était de taille moyenne ; il avait les yeux noirs et vifs, la chevelure drue, les traits énergiques et un peu vulgaires : on ne lui eût pas donné beaucoup plus de quarante ans. Quinze jours plus tard, il était devenu le chef du gouvernement polonais.

M. Vincent Witos est un paysan de Galicie ; il possède et fait valoir lui-même un petit domaine d’une douzaine d’hectares. De bonne heure, il entra dans la vie politique, se fît élire député à la Diète de Galicie, puis au Reichsrath autrichien. A la Diète galicienne, le parti qu’il représentait, — Parti du peuple, — était fortement organisé depuis 1895. En 1907, il se divisa en deux fractions : les moyens propriétaires et les paysans riches formèrent le groupe Piast ; les petits paysans et les ouvriers agricoles, l’aile gauche du parti, se constituèrent en groupe indépendant. Les derniers choisirent pour chef M. Stapinski, tandis que les premiers confiaient à M. Witos la direction de leur parti. Au lendemain de l’indépendance, lorsque les ouvriers et les paysans de Lublin proclamèrent la république communiste, ils en offrirent la présidence à Witos, qui refusa. Le chef du Parti populaire est démocrate ; il est même radical en certaines matières ; mais il a le communisme en horreur. A l’Assemblée Constituante de Pologne, le groupe qu’il dirige compte quatre-vingt-quatre députés ; celui de Stapinski n’en a que onze.

Amis et adversaires reconnaissent à M. Witos une intelligence remarquable, une l’acuité d’assimilation rapide et une aptitude rare à la manœuvre parlementaire. Le chef du parti populaire a conscience de ses dons, mais il connaît aussi ses limites. N’ayant fréquenté que l’école primaire, il s’est formé lui-même une expérience, qui ne remplace pas en tous points l’instruction qui lui manque. Il ne parle que le polonais, et un peu l’allemand. L’histoire des autres nations lui est peu familière ; celle de son pays, il la connaît depuis qu’il y est mêlé. Aussi préférait-ii son rôle de chef de groupe aux