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« Génois, Gascon et Cadurcien, » dit Paul Deschanel dans sa brillante biographie de Gambetta[1]. Et, en effet, autour de son enfance et pour la formation de son adolescence, ce sont des perspectives où se dessinent les grands horizons méditerranéens : A dix-huit ans, premier voyage ; lettres enthousiastes à sa mère : « Montpellier, Lunel, Aigues-Mortes ! A Aigues-Mortes, j’ai vu la mer pour la première fois… Marseille à nos pieds, la Corse dans le lointain ; — tableau enchanteur et enivrant qui fait entrevoir les merveilles de l’Italie ! »

Le jeune homme est formé et c’est à son père qu’il révèle, un peu plus tard, ces ambitions politiques qui, d’homme à homme et du fils au père, s’entendent et s’excitent mutuellement : « La grand’route est ouverte devant nous. Il faut la prendre résolument, la tête haute et lutter. Je suis tout prêt. Oh ! qu’il me tarde de plaider ! La langue me brûle. Quand viendra ce beau jour ? Je lis, je relis les maîtres de la parole. Pourquoi te le cacher, mon bon père, l’ambition me dévore… »

La parole, l’ambition, le forum. Peut-on être plus Romain ?…

C’est ce jeune homme ainsi né et formé, — et nous n’oublierons pas, auprès de lui, la ferme influence d’une mère aux traits antiques, — qui arrive à Paris au moment où un trouble immense agite la politique française, où une fermentation ardente fait bouillir la cuve des temps nouveaux, où l’Empire et la démocratie enlacés luttent aveuglément sans craindre de livrer la France au perpétuel guet-apens de l’invidia germanica. Epoque de crise, époque de péril, époque de douleur et, bientôt, époque de réparation et de création.

C’est l’heure de nos méridionaux. Thiers a renversé l’Empire. Gambetta fonde le gouvernement du 4 septembre. En plein tumulte, ce jour-là, il adresse au peuple qui a envahi l’Assemblée, des paroles exprimant sa préoccupation dominante : « La première condition de l’émancipation populaire, c’est la règle, » et, dès le 5 septembre, il annonce à l’Europe qu’il existe un gouvernement : « Il faut que l’Europe sache, par d’irrécusables témoignages, que le pays tout entier est avec nous : il s’agit d’un peuple entier debout, organisé, représenté, d’une Assemblée enfin qui puisse porter en tous lieux et en dépit de tous les désastres, l’âme vivante de la patrie. »

  1. Gambetta, par M. Paul Deschanel. Hachette, in-8o 1919.