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beaucoup plus amères encore que les précédentes années : « Savez-vous, expose-t-elle par exemple à Mazzini, la seule chose dont je serais capable ? Ce serait une malédiction ardente sur cette race humaine, si égoïste, si lâche et si perverse ! Je voudrais pouvoir dire au peuple des nations : « C’est toi qui es le grand criminel ! C’est toi, imbécile, vantard et poltron, qui te laisses avilir et fouler aux pieds. Je t’ai cru grand, généreux et brave : tu l’as été, en effet, sous la pression de certains événements, lorsque Dieu fit en toi des miracles… Mais tu vends ta conscience pour un peu de plaisir, etc.. » Elle acceptera, peu, après, le rétablissement de l’Empire sans aucune protestation, parce que le peuple lui apparaît à cette heure comme un enfant assez ingrat, fort égoïste et, à tout prendre, innocent de ses propres fautes, parce que son éducation a été tardive et ses instincts trop peu combattus ! Ces instincts n’étaient donc pas divins ? et voilà l’aboutissement de la métaphore enfantine que nous avons rencontrée sous sa plume à toutes les étapes de la crise mystique dont fut marqué le milieu du siècle romantique. Il faut laisser, conclut-elle, cet enfant présomptueux aux leçons de sa propre expérience, — ce qui est, en effet, fort salutaire à tous les enfants des hommes. — Mais Mazzini la boudera pendant quelque temps pour ces vérités trop crûment énoncées.

Quelques années encore, et, dans le roman qui s’intitule Monsieur Sylvestre, le jeune bourgeois Pierre Sorrède, personnage fort sympathique à l’auteur, proclamera que les doctrines du socialisme humanitaire sont très pernicieuses, en ceci qu’elles promettent à l’individu le bonheur sans une collaboration soutenue de sa part. Il faut haïr les révolutions qui n’aboutissent pas à l’amélioration des individus et se garder surtout de croire aux sociétés meilleures que ceux qui les font ! — Quelle admirable formule de socialisme rationnel, encore une fois, que cette simple constatation du bon sens ! — Oui, poursuit Sorrède avec une conviction communicative, si les masses étaient imbues de ce principe que la société leur doit le bonheur, quelque ignorantes et corrompues qu’elles soient d’ailleurs et qu’elles en- tendent rester, elles deviendraient bientôt ivres de fureur et de tyrannie. Car personne n’étant encore capable du bonheur qui repose avant tout sur l’ordre, le travail, le dévouement et la modestie, mais tout le monde s’imaginant néanmoins être digne de ce bonheur, on verrait une lutte effroyable s’établir entre la