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sanction divine que ces théories réclament : ce serait pourtant une grande chose que de voir un révolutionnaire proclamer le droit humain pris à son point de vue religieux. Telle est la tâche à laquelle George Sand se consacra vers 1840 et qu’elle poursuivit pendant une dizaine d’années jusqu’à l’échec définitif du mouvement de 1848. — Déjà son récit vénitien de la Dernière Aldini, elle disait déjà la sainteté de ces natures plébéiennes que rangent si bas nos préjugés odieux et notre stupide dédain ! Mais c’est dans le Compagnon du tour de France qu’elle a le plus nettement auréolé le travailleur manuel du nimbe messianique. Le héros de ce livre, le menuisier Pierre Huguenin, manifeste en effet une noblesse de nature plus exquise et plus accomplie mille fois que toutes les illustrations acquises et consacrées par l’opinion des hommes. A toute heure, il est contraint d’étouffer en son sein les élans d’une organisation quasi-princière qui s’accorde fort mal avec la modestie de sa condition dans la société présente. Lorsque cet homme s’assied, dans une noble altitude, sur les coussins d’un sopha de velours (au château de Villeproux où il travaille de son métier), pour contempler avec sensibilité un admirable paysage, il se sent comme le roi du monde. Mais, lorsqu’après un instant de rêverie sublime, il retrouve sur son front pensif, sur ses mains sèches et meurtries, les éternels stigmates de l’esclavage, des larmes brûlantes s’échappent par torrents de ses yeux ; il tombe à genoux il tend les bras vers le ciel, implorant la patience pour lui, la justice pour ses frères, condamnés à l’abrutissement de la misère ! Aussi bien porte-t-il dès à présent dans son esprit la révélation d’un temps et d’une société meilleurs. Sand n’hésite point à l’assimiler au Christ nazaréen, à l’ouvrier charpentier de la bourgade galiléenne parce qu’il est de la même étoffe divine que le fils de Marie.

En général, poursuit l’enthousiaste écrivain, le peuple est aujourd’hui le grand foyer d’inspiration créatrice. Le métaphysicien et le géomètre ont leurs révélations soudaines et merveilleuses de même que l’extatique religieux, le poète ou l’amant. Comment donc l’homme de charité et d’abnégation, celui dont le cœur et le cerveau travaillent de concert à découvrir la vérité sociale dans l’intérêt de ses frères, ne serait-il pas porté, lui aussi, par l’esprit du Seigneur qui plane au-dessus de nos têtes. Le peuple se délivrera lui-même, posera sa règle en personne, tirera ses conseillers de son propre sein, puisant ses inspirations