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années, trois phases dont chacune eût suffi à créer une gloire. » Il répéta le mot qu’un illustre royaliste avait dit d’un illustre républicain : « Il était magnanime… »

Les ans ont passé. Les luttes ont pris fin. Le recul de l’histoire met à son plan la figure de l’homme illustre, qui fut, personne ne le conteste maintenant, un des grands serviteurs du pays. A Ville-d’Avray, à Nice, le culte du souvenir se maintient pieusement. Demain, le cœur de Gambetta sera porté au Panthéon.

Essayons de définir les services qu’a rendus à son temps et à son pays, l’orateur, l’homme d’État fauché dans sa fleur, et, pour tout dire en un mot, plein de latinité et d’accent, le tribun.


I

En Gambetta, on distingue, dès l’abord, trois traits essentiels : le méridional, le maître des « couches nouvelles, » le patriote.

La France du Midi a reçu les premières semences de la civilisation : elle est phénicienne par Nice, grecque par Marseille, romaine par Aix et Toulouse. Les plus vieilles traditions humaines ont longé les rivages méditerranéens et pénétré par les terres jusqu’à l’Océan, la Manche et le Rhin. Au sud de la Loire, naquit de bonne heure une Gaule précoce qui porta en son sein la future Europe. La région qui s’appela excellemment « la Province, » reçut la première empreinte de l’urbanité. César s’appuya sur cette Gaule méditerranéenne pour conquérir l’autre et pour fonder l’Empire.

De cette formation antique et privilégiée, il est resté à la Gaule du Midi un héritage très spécialement romain, je veux dire le sens de l’organisation, de la politique, de l’architecture des sociétés, avec un tour de main, une aptitude à conduire les hommes. Militaires, orateurs, légistes, ces méridionaux sont des chefs et des fondateurs.

Nous nous plaignons, nous, gens du Nord, de la part que les gens du Midi s’attribuent dans le gouvernement de la France. Nous luttons contre leur éloquence, — en la subissant. Nous voudrions échapper à leur emprise : c’est en vain. A peine le joug secoué, ils nous l’imposent de nouveau.

Il y a des raisons à cela. S’ils nous séduisent, c’est qu’ils nous persuadent ; si nous obéissons, c’est qu’ils savent commander. Au temps des grands périls, la France entière se retourne vers