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La danseuse a du goût et de l’esprit. Elle a su prendre de son maître Jacques Dalcroze l’art des gestes et le sens des rythmes. Mais c’est bien son génie propre qui lui donne cette grâce et cette poésie. Elle mime la Danse des Ombres de Finck, puis la Danse des Elfes de Grieg, d’autres danses encore. Cela est éclatant, riant et jeune. Toute lourdeur germanique a disparu. En vérité, cette jeune fille si alerte n’a-t-elle pas du sang latin ?

Et quelle est, pour terminer, cette singulière pantomime, à laquelle elle se livre comme par jeu, les yeux rieurs et les lèvres malignes, sur le thème illustre de la Marche Militaire de Schubert ? Seigneur ! c’est le « pas de l’oie » des Prussiens, la sacro-sainte Paradmarsch qu’elle parodie en bouffonnant. L’ardeur et la gaieté qu’elle y met enlèvent le succès. Des Rhénans lui jettent des fleurs. Elle doit recommencer.

Ce peuple est-il donc si loin de nous, qui saisit ces deux traits de notre race, la grâce et l’ironie ?


1er décembre.

Voici enfin que le commerce français s’installe à Mayence. Mais comme il est venu tardivement ! Comme sa part est encore médiocre ! Je m’en étonne auprès d’un industriel du Nord, actif et ingénieux, qui, en attendant de pouvoir reprendre son entreprise en pays dévasté, est venu chercher fortune ici.

— Oui, me dit-il, nous avons perdu un temps précieux, parce que, jusqu’en ces dernières semaines, le commerce avec tout pays allemand était interdit, cependant que, depuis l’armistice, Anglais et Américains concluaient des marchés considérables. Mais rien n’est compromis. Depuis cet été, grâce aux autorités françaises des pays occupés, et sur la demande même des Rhénans, on nous laisse librement trafiquer avec la Rhénanie. Déjà, ont été négociés de gros achats de machines-outils, verreries, meubles, produits chimiques, et des ventes importantes de graisses, huiles, savons, vins, alcools. Cinq cents maisons françaises sont dès à présent fixées à Mayence ou Wiesbaden. N’en doutez pas : elles réussiront. Des deux côtés, les besoins sont trop intenses, les bonnes volontés trop concordantes.

Cet optimisme me réconforte. Mais il va falloir un vigoureux effort pour reconquérir le marché rhénan. Tout Français débarquant est navré de ne rencontrer en ces villes occupées par nos troupes aucun produit français, — sauf ceux que vend