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— Ce n’est pas nous qui avons voulu la guerre. A Mayence, nous ne demandions qu’à vivre en paix. Ce sont les junkers de Berlin qui sont les seuls responsables de ce crime inepte. Me voici ruiné par lui. J’étais dans une belle situation en 1914 : je ne sais plus où j’en suis. Je ne sais même plus si je pourrai rester en ce logis : on prétend que je suis trop grandement logé, et l’on me retire le droit à certaines pièces de mon appartement.

Il m’apprend qu’il a séjourné plusieurs fois longuement à Paris. Quant à sa fille, elle a suivi toute une année les cours de la Sorbonne et du Collège de France. Avec fierté, elle me cite ses lectures. Ce sont des noms un peu mélangés, où Bergson voisine avec les Mémoires de Sarah Bernhardt.

— Je ne suis pas la seule, dit-elle en souriant devant ma surprise. Mes amies Selma X… et Bertha W… ont été vivre toute une année, l’une à Nancy, l’autre à Bordeaux. Toute jeune fille bien élevée tenait ici à acquérir une bonne culture française.

Mais elle a un gros soupir.

— Ah ! Paris ! Jamais nous ne pourrons y retourner. On ne voudrait plus nous y accepter !

Je l’assure que le Français sait distinguer le Rhénan du Prussien.

Mais le père, à son tour, hoche la tête, et prononce :

— Non, pour vous, nous sommes tous des Boches.

Certes, il n’a pas tout à fait raison, ce riche Mayençais, car nos soldats ne traitent guère les gens d’ici en ennemis. Pourtant, combien de Français connaissent le mot du général Mangin à ses officiers le jour de son arrivée à Mayence : « Messieurs, à partir d’aujourd’hui, il n’y a plus de Boches ici ? » Travaillons à réaliser ce mot.


15 octobre.

Nos deux lycées viennent d’ouvrir. Ils ouvrent un peu timidement, sans cérémonie, sans éclat, — sauf ce matin une messe du Saint-Esprit, où l’évêque de Mayence a tenu à se faire représenter par son vicaire-général.

Nous sommes installés, tout près du Rhin, en un vaste bâtiment, spacieux et clair. Ce n’était qu’une Real Schule : mais les Allemands ne regardaient pas à la dépense pour leurs locaux scolaires.