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gigantesque pour évoquer quelque majestueux Raffet, jette et reprend avec aisance sa lourde canne à l’ébahissement du populaire. Puis, la nouba, dont les musiciens Sénégalais jouent la Marche lorraine sur leur flûte exotique. Une autre clique encore de fantassins lançant aux échos cette vieille marche de Turenne au son de laquelle autrefois la division de fer rentrait à Nancy. Une fanfare de cuirassiers saluant la ville de ses trompettes. Deux escouades de porteurs de torches. En vérité, on fait belle mesure aux Mayençais. Les plus belles retraites qui défilaient à Paris aux jours fiévreux de 1914 n’étaient pas si riches.

Puis une foule pressée, hommes, femmes, enfants se donnant le bras, où dominent les Français, mais où se reconnaissent bien des gars et surtout des filles du cru, tout cela marchant d’un pas allègre, au rythme de la musique.

Tout de même, ces cuivres jetant nos airs militaires de France dans les rues de Mayence, ces torches illuminant de leurs reflets nos poilus, cette foule excitée et joyeuse fredonnant la Madelon ou la Marseillaise, quelle vision directe de la Victoire !

A mes côtés, un ami, que j’ai retrouvé ici, ne peut se contenir. Tout joyeux, il me jette :

— Croyez-vous qu’on les a eus !


30 septembre.

Cette ville est charmante, — j’entends au moins la vieille ville, que ne déshonore pas la moderne architecture berlinoise.

M. André Hallays, que j’ai la bonne fortune d’y rencontrer, est tout heureux. Le voici dans une cité qu’il aime. Il va, découvrant les jolies choses, signalant les erreurs, maudissant les vandalismes, avec cette sûreté de goût que lui ont donnée trente années de flânerie intelligente et artiste. Sur la foi d’un tel guide, comment ne pas se laisser aller à son plaisir ?

Il y a des coins délicieux : cette place du Marché, que domine le vieux Dôme rose et or, — cette mystérieuse rue du Saint-Sépulcre, — l’Evêché et ses somptueux platanes, — ces maisons moyen-âgeuses de la rue des Augustins, — ce pignon de l’ancien gymnasium.

Et que d’œuvres qui semblent de « chez nous ! » Car c’est le goût français qui, depuis le moyen âge, a inspiré les artistes du cru. Telle statue, tel détail d’ornementation, rappelle