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serviteurs, celui qui l’avait vu grandir et le suivait depuis le collège ? La retenue, la nuance même un peu lointaine de ces images du passé, voilà donc ce qu’on goûte ici, au crépuscule, dans cette vieille demeure dont Eugène Fromentin, comme un matelot qui se réserve toujours un havre au milieu des tempêtes, parmi les orages de la vie avait fait sa maison heureuse. En vain cherchons-nous en effet, dans ce salon démodé aux tentures sourdes, aux meubles de jadis, de ces inscriptions, de ces coups de canifs véhéments ou curieux dont Dominique, au cours de ses pensées, se plaisait à cribler les boiseries.

De tant de violences, de tourments, de combats intérieurs, nous ne pouvons retrouver les traces, mais seulement, disposés comme au temps de l’hôte lointain, les muets témoins de ces années : d’abord la « double bibliothèque » dont il est parlé dans Dominique, et le « petit meuble enseveli dans la poussière contenant uniquement ses livres de collège, livres d’étude et livres de prix. » Les livres de prix, ces livres dont il reçut les plus beaux à la fameuse distribution de 1837, ont été dispersés. Hélas ! Quant aux volumes, aux reliures anciennes, aux titres bien un peu pâlis par le temps qui couvrent les rayons, la plupart, provenant du docteur Fromentin, le médecin de Lafond, sont d’ordre scientifique. Seuls, un Cicéron, un Plutarque, rappellent les prédilections du jeune rhétoricien, et le vieux choix d’ouvrages de campagne : les Voyages de Cook, les Ruines, le Magasin des demoiselles, le Traité des jardins ou le nouveau La Quintinie, trahissent le côté poétique, intime, en quelque sorte agreste de ce logis ancien.

Qui ne se rappelle le passage exquis, filial, dans lequel Fromentin, à propos de sa mère, écrit dans l’une de ses lettres (toujours à Paul Bataillard) : « Nous avons cueilli le raisin ensemble ! » Sans doute l’écrivain parle-t-il de la vigne de la terrasse mêlée à la glycine. Pour sa mère, cette mère adorable, la seule personne qui l’ait compris jamais dans sa famille, nous eussions été heureux de contempler son visage tel que son fils nous le dépeint si bien avec ses grands beaux yeux noyés de larmes ; mais le portrait du docteur Fromentin, père d’Eugène, seul nous a été montré, un portrait de jeunesse genre Empire, à la Boilly. Ce portrait, c’est le docteur Fromentin lui-même qui l’a peint, non sans talent d’ailleurs. Elève de Berlin, de Gros, de Gérard, Pierre-Samuel Fromentin avait, dans son