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longs efforts. Dans les centres textiles de l’Ouest, à Lodz, à Czenstochowa, les Allemands s’acharnèrent contre des entreprises qui leur avaient fait longtemps concurrence, détruisirent les usines, démontèrent les machines et les emportèrent, comme ils avaient fait dans le Nord de la France. Les ouvriers des industries polonaises furent transportés par milliers en Allemagne.

La Posnanie fut privilégiée. En temps de guerre, plus encore qu’en temps de paix, elle devait produire pour les Allemands : on lui en laissa les moyens. Elle est sortie du grand cataclysme, non seulement intacte, mais prodigieusement enrichie, ayant vendu à des prix énormes des produits de son agriculture et de ses industries.

Abstraction faite de l’ancienne province prussienne, la Pologne recouvrait, avec son indépendance, un territoire mal aménagé et insuffisamment exploité par les anciens possesseurs, ruiné dans sa partie orientale par l’invasion des armées russes et des bandes ukrainiennes, considérablement appauvri au Centre et à l’Ouest par l’occupation allemande. En parcourant le pays, j’ai pu constater de mes yeux les dégâts causés par la guerre. Assurément, pour nous qui avons vu la région de Verdun, la vallée de l’Aisne, les champs de bataille du Nord de la France, l’aspect des campagnes les plus dévastées en Galicie Orientale ou dans l’ancien gouvernement de Lublin est médiocrement émouvant. Lorsque mes guides polonais me montraient les fermes brûlées, les forêts décimées, les églises endommagées par quelque obus russe, je ne pouvais m’empêcher de songer que la guerre qui avait passé par-là n’était qu’un jeu d’enfants, au regard de celle qui avait ravagé, bouleversé jusque dans les profondeurs de leur sol quelques-unes de nos plus belles et de nos plus riches provinces. Je ne pouvais me distraire de cette comparaison et m’étonnais beaucoup moins, au cours des longues randonnées à travers la campagne polonaise, des traces de dégâts laissées par la guerre, que de l’état d’abandon où l’incurie calculée des gouvernements avait maintenu des pays naturellement riches et fertiles. Pas de chemins de fer, des routes rares, mal entretenues, parfois à peine tracées, comme on les rencontre en Turquie d’Asie ; peu de villages, et si misérables ! des paysans en haillons, farouches et craintifs, que la rencontre d’une automobile affolait beaucoup plus