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Marc-Aurèle, de Nerva, de Trajan. Une inscription commémore l’envoi à Rome d’une « délégation magnifique, — legatio magnifica. » Décidément, je suis en pays latin ! Puis, à considérer plus attentivement ces ruines, une foule de souvenirs vous reviennent qui élargissent encore devant l’esprit, les perspectives de l’histoire. Vues de près, ces vieilles pierres dorées paraissent toutes blanches. Elles étaient revêtues de stucages, dont on reconnaît encore la trace. Les chapiteaux et les colonnes sont de marbre blanc veiné de rose. Certains sont mauves, ou d’un gris gorge-de-pigeon. Tout cela compose un ensemble clair et joyeux, beaucoup moins sévère que l’habituelle architecture romaine. Cette ville blanche rappelle Pompéï et la Campanie. Et l’on se souvient que Gigthi, d’abord carthaginoise, s’ouvrit, à toutes les époques, au commerce de l’Hellade. Gigthi est plus grecque que romaine. Nous voici sur les confins où le monde latin et le monde hellénique se mêlaient jusqu’à se confondre.


* * *

Par une porte monumentale, je débouche sur une rue en pente qui s’abaisse vers la mer. A gauche, au sommet d’une colline assez élevée, des murailles blanches s’aperçoivent : c’est le bordj de Bou-Grara, le fortin qui défendait les approches de la côte. A droite, au-delà d’une dépression de terrain, monte une autre colline, — sur laquelle, parait-il, était construite l’ancienne Gigthi, la Gigthi carthaginoise, — et qui semble toute gonflée de ruines. Déblayée çà et là, elle montre un lacis de ruelles tortueuses, des racines de murs qui dessinent de petites maisons, un marché, des thermes, plus loin une palestre et un temple de Mercure. Du côté de la plage, de vagues débris qui représentent des docks et le môle du vieux port…

J’ai devant moi la Mer des Syrtes, la mer inhospitalière, l’inhospita Syrtis de Virgile. Dans sa bordure de sables et sa frange d’écume, elle est toute bleue, d’un bleu dur et violent, à l’éclat et à la solidité métalliques. Elle est déserte. Pas un être vivant sur la plage, ni nulle part, si loin que le regard puisse aller. Cela rappelle certaines anses solitaires de la Mer Morte. Dans la direction du bordj, à une faible distance du rivage, on voit seulement quelques écueils lavés par le flot, et, parmi ces écueils, un bâtiment plat, tout blanc de chaux, qui a le même