Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 59.djvu/791

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

droite, vers une éminence, que dominent quelques colonnes et à laquelle s’adossait le théâtre.

Il était bâti sur la berge d’un oued profondément encaissé, et dont le caractère est tout à fait étrange, même pour les yeux d’un vieil Africain. Les colonnes, que j’apercevais de loin, formaient, au fond de la scène, une ordonnance décorative. Du haut des gradins, parfaitement reconnaissables sous la couche de terre où ils sont ensevelis, on peut s’orienter à travers les ruines et en prendre une idée d’ensemble. On identifie des thermes, des basiliques chrétiennes, des rues encadrées de pans de murs ; puis le regard se fixe sur un admirable ensemble de constructions, qui émergent parmi tous ces débris informes : le forum de Sufetula, sa porte triomphale, son enceinte quadrangulaire, ses portiques, ses trois temples capitolins. Mais la distance en diminue un peu l’effet. Le paysage de l’oued tout proche est tellement énergique et singulier qu’on se détourne de ce panorama archéologique pour considérer la splendide et sauvage nature.

Le promenoir qui s’élevait en avant de la scène est un endroit excellent pour jouir de cette belle vue. Ici, l’architecte l’avait-il fait exprès ? Etait-ce réellement un portique que protégeait ce haut mur percé de larges baies ? Y avait-il là une terrasse en bordure de la rivière, où l’on venait prendre le frais, pendant l’été, en jouant au cottabe, ou en récitant des vers ? Ce qu’il y a de sûr, c’est que la vue y est merveilleuse. Dans le fond, comme au bout d’un grand corridor, on aperçoit un pont romain, flanqué de piles-rondes et pareilles à des tours, qui enjambe le lit raviné et tourmenté de l’oued. L’eau, déjà rare, brille en un mince filet entre des touffes de lauriers-roses. Ailleurs elle s’étale en un miroir cristallin où se décomposent les nuances exquises de l’atmosphère. Avec ses étages inégaux, le lit du torrent semble, comme celui d’Haïdra, un canal de marbre blanc qui se déverse dans une cuve d’or gondolée et boursouflée par un caprice de toreuticien. Au-delà du pont, il se perd entre des escarpements sablonneux et turriformes, des monticules qui font songer à des troupeaux de sphinx allongés dans une attitude de repos et de méditation.

De l’autre côté, vers le Sud, ce dur paysage de métal solidifié a pour pendant l’éternelle et aérienne féerie désertique. Dans le ciel léger, les fonds vaporeux se teignent de roses