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est robuste, regorgeant de sève comme un beau palmier : dans ces pays du Sud, il faut toujours en revenir à cette comparaison. Et pourtant, malgré cette variété de couleurs, ces tons d’or, et ces dégradations infinies de roses et de rouges, cette rudesse d’écorce, ces nodosités et ces rides presque végétales, l’arc de triomphe de Sbeïtla, comme le temple capitolin de Dougga, offre un profil parfaitement harmonieux. Les lignes en sont d’une pureté toute classique.

Il faut s’arrêter devant ces arcs de triomphe africains et les contempler longuement, parce que ce sont des types d’un art complètement disparu. Ils sont beaucoup plus simples, beaucoup moins chargés de sculptures et de bas-reliefs que les arcs de Rome et surtout que nos modernes arcs de triomphe, lesquels, à l’exception de celui de l’Etoile, ne paraissent point faits pour le plein air. La recherche et la fragilité de leur ornementation requièrent la vitrine protectrice d’un musée. Considérez le charmant arc, — déjà si abimé, — du Carrousel : on le voit mieux sous globe qu’à l’air libre. En Afrique, au contraire, l’édifice est merveilleusement adapté aux conditions du sol et du climat. Il surgit comme une plante vivace et drue, une pousse naturelle de cette terre ardente et violente. Sous sa rude carapace, il est capable de résister à toutes les injures de l’air et à toutes les brûlures du soleil. Néanmoins, malgré cette solidité de structure et d’épiderme, cette bonhomie un peu rustique, il se compose avec le même air de grandeur et de noblesse, la même beauté harmonieuse et grave qu’un chant de Virgile ou un chapitre de Tite-Live. Le secret de cette architecture-là est mort avec le génie antique. Des profils comme ceux de l’arc de triomphe de Sbeïtla ou du temple de Dougga ne se reverront jamais plus. C’est pourquoi il faudrait essayer d’en prolonger pieusement la durée.


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Par une grande voie dallée et bordée de décombres, je m’achemine vers le centre de la ville morte. Ainsi entrait, dans Sufetula, voilà dix-huit siècles, le voyageur venu de Carthage ou d’Hadrumète. Mes pas se posent dans ses pas, et, si nos modernes véhicules pouvaient me suivre ici, les roues s’enfonceraient dans les ornières tracées par les roues de son char.

Afin de mieux embrasser l’étendue des ruines, j’oblique, à