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avoir longé quelque temps la forteresse, je suis descendu, par une dépression de terrain, jusque dans le lit de l’oued. Les berges, très hautes et sans cesse rongées par les eaux, ont l’air de tranchées artificielles. Dans la paroi régulière, on distingue des substructions de maisons, des racines de murailles, des restes de pavements, des colonnes couchées, des auges de pierre. Tout le travail d’exhumation reste à faire. Est-ce pour constater cette possibilité de renaissance que l’on est venu ?…

On se détourne avec mauvaise humeur, et, sur des cailloux glissants, on enjambe le lit de l’oued.

Et voilà que, tout à coup, on se trouve devant un spectacle étonnant de couleur et de somptuosité. C’est une apparition médiévale d’un relief, d’une intensité réellement extraordinaires. De l’autre côté de la rivière, d’un mouvement farouche, la citadelle byzantine, avec ses tours, ses créneaux, ses hautes portes cintrées, dévale jusqu’au bord de la berge. Elle semble faite avec des cubes d’or rouge, et toute cette enceinte massive et singulière se détache au milieu des sables roux, sur le bleu du ciel, comme une flamboyante orfèvrerie. Sous sa couronne de palmiers élancés, cette étrange silhouette se réfléchit dans la nappe mince et frissonnante de l’oued, qui se déverse en cascades dans des bassins naturels, semblables à des vasques superposées de marbre blanc. En face, sur la berge où je suis, des peupliers rabougris érigent leurs verges maigres. Et, par derrière, des collines pelées et misérables attristent l’horizon. Soudain, on grelotte. Un coup de vent froid vient de passer, qui fait frissonner les herbes et les roseaux de l’oued. On est très haut ici : c’est l’atmosphère frigide des Hauts-Plateaux.

Et rien n’est saisissant comme le contraste de cette maigreur et de cette frigidité avec l’ardeur et l’opulence de l’autre spectacle. Une flambée de couleur au bord d’une flaque d’eau, dans la tristesse d’une lande informe et incolore, voilà ce qui reste d’Ammædara.

Mais ce reste est quelque chose de tellement intense et magnifique qu’il fait oublier toutes les déconvenues. Cette forteresse byzantine, vue du côté de l’oued, est une ruine splendide et précieuse, qu’il faut conserver à tout prix. Les crues de la rivière, les coups de vent et les pluies ont tellement ébranlé le rempart, que, sur une foule de points, il menace de s’écrouler. L’arche hardie de cette porte qui se découpe, dans l’air