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plus rien que des cailloux et de l’alfa. En outre, la structure même du pays rend les voyages longs et compliqués. La Tunisie, ainsi d’ailleurs que l’Algérie, est faite de compartiments superposés qui ne peuvent guère communiquer que par un couloir latéral, comme dans nos wagons. Ce couloir longe la côte orientale de la Régence, et il faut toujours y revenir, quand on veut passer d’un compartiment à l’autre. Vous vous trouvez, par exemple, au fond d’un de ces corridors, à trente kilomètres d’une ville romaine. Mais celle-ci est située dans le compartiment voisin. Si vous voulez y aller par chemin de fer, il faudra faire plus de deux cents kilomètres pour rejoindre le couloir de communication, et encore deux cents kilomètres en sens inverse pour traverser tout le compartiment parallèle et atteindre enfin le but de votre excursion.

Ammædara, — que les Arabes appellent aujourd’hui Haïdra, — se trouve à l’extrémité d’une ligne d’intérêt purement local, qui va de Tunis, par Gafour et Les Salines, aux exploitations minières de Kalaa-Djerda.

J’avoue que la lenteur du train et la monotonie du paysage commencèrent d’abord par me décourager. Pendant des heures et des heures, des plaines mornes s’allongeaient, sans le plus petit détail capable de retenir un instant le regard. La seule émotion, c’est l’inquiétude de savoir où l’on pourra manger tout à l’heure et coucher ce soir. Le buffet où l’on s’arrête est une cahute en planches, encore assez éloignée de la voie. Elle est prise d’assaut par la douzaine de voyageurs que nous sommes, et, quand enfin nous nous asseyons devant notre pitance, les mouches, par essaims fervents, sont déjà à table dans les assiettes et dans les plats. Je me demande avec angoisse si la lointaine et vague Ammædara vaut le supplice et l’ennui d’un tel dérangement.

Cependant, à mesure qu’on se rapproche de l’Oued-Sarrath, le style du paysage se relève. Il devient plus vigoureusement africain. A travers une grande plaine désolée, le lit de l’oued s’étale sous de hautes berges d’argile rouge ravinées et sculptées par les eaux. Et, dans le lointain, dominant toute cette étendue aride, au sommet d’un énorme massif calcaire, surgit une forteresse naturelle, qui semble construite de main d’homme, et qu’on appelle la Table de Jugurtha. Si habitué que l’on soit aux formes architecturales des montagnes africaines, on est