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infiltrés à travers la frontière. Ils sont rentrés furtivement, timides jusque dans leur audace, ne sachant pas bien ce que leur réserve de mécomptes ou de consolations la terre natale. D’abord ils se sont cachés, disant la messe dans une cabane de pâtre, dans une maison écartée. On a appris leur retour ; vers eux se sont tendues des mains amies. Au déclin du jour, des paysans, des bourgeois sont venus, avides de se décharger de leurs fautes et d’en obtenir le pardon. Nul bruit de poursuite, nul indice de recherche ou de délation. Alors ces hommes, depuis si longtemps hors la loi, se sont affermis dans leur espérance. Ils se sont hasardés en plein jour. « Dans une grange, écrit l’un d’eux, nous osâmes chanter, à l’exposition du Saint-Sacrement et à la bénédiction. » On leur indique les malades ; ils vont les visiter ; aucune embûche sur le chemin, mais des visages joyeux qui les reconnaissent et les saluent. Cependant, une association de fidèles a réclamé tantôt l’église, tantôt un oratoire. Ils s’y glissent ; ils y célèbrent d’abord une messe basse, ensuite une messe chantée. La chaire est là qui a été dégradée, non détruite ; ils y montent, commencent d’un accent un peu tremblant, puis s’affermissent au son de leur propre voix. Un jour, ayant rencontré des enfants, ils les rassemblent, leur parlent de Dieu, et ne les congédient qu’après avoir décidé de les réunir de nouveau. Un autre jour, avec quelques feuilles volantes, grossièrement rattachées, et qu’on peut au premier signe anéantir ou dissimuler, ils reconstituent le registre paroissial. Et voici que, grâce à eux, tous les fragments du coutumier chrétien se rejoignent et pour ainsi dire se ressoudent. Ils confèrent les baptêmes, célèbrent les mariages, administrent les mourants, bénissent les cercueils. Il y a bien quelques alertes : un jour on a vu les gardes-nationaux ; un autre jour on a entendu, cru entendre sur le pavé de la route les chevaux des gendarmes. Et, en effet, quelques rapports se rédigent qu’on retrouve aujourd’hui aux archives. On y lit que les prêtres sont tout-puissants, que dans tel canton d’Alsace, comme le canton de Benfeld, le culte s’exerce publiquement, qu’à Guebwiller les insermentés ont deux grandes églises, que le jour de la Saint-Blaise, en un lieu de pèlerinage près de Dalhenheim, dix prêtres ont dit la messe. Mais les autorités locales sont indécises. Qui doit-on écouter ? Le Directoire et le ministre de la Justice Merlin qui commandent les rigueurs ? Les