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Le rêve, pour ces ruines chrétiennes, comme pour les ruines païennes, ce serait d’y rapporter toutes les dépouilles qui dorment ou qui s’encrassent dans les musées. Qu’on allume dans cas niches les petites lampes d’argile marquées du poisson mystique ou du monogramme du Christ ! Qu’on déploie sur le sol des nefs ou des cours intérieures, sur les margelles ou dans les cuves des baptistères, les somptueuses couleurs des mosaïques qui les revêtaient jadis ! Qu’on aligne de nouveau, dans les cimetières, ou le long des murs des chapelles en forme de trèfle, les inscriptions et les stèles funéraires avec les noms des défunts, le chiffre de leurs ans et de leurs jours, quelquefois l’éloge de leurs vertus, — et les figures symboliques de l’Ancre, de la Palme ou de la Feuille de lierre, de la Colombe qui tient dans son bec le rameau de l’Arche. Comme ces lieux de mort et de désolation redeviendraient vivants, quel langage émouvant ils parleraient, — quels utiles rapprochements surtout ils suggéreraient !…

Nous songions ainsi parmi les ruines de la basilique de Saint-Cyprien. A droite, entre un bouquet d’eucalyptus, émergeait la chapelle de Sainte-Monique, à gauche la falaise rouge de Sidi Bou-Saïd dressait sa muraille profondément ravinée. Dans l’écartement des deux collines, on voyait le bleu de la mer et, tout au fond de l’horizon, sous les hautes montagnes au profil indistinct, les maisons Manches de Corbous. C’était une calme soirée printanière. Une suavité chrétienne flottait dans l’air. En robe grise, les petites orphelines de Sainte-Monique chantaient un cantique dans la cour du couvent. Alors, ému sans doute par le charme des lieux et par la grandeur des souvenirs, l’archevêque d’Alger, le futur primat de Carthage, se mit à nous murmurer, de sa douce voix, ces « Litanies des saints d’Afrique, » qui furent composées par le cardinal Lavigerie :

Omnes sancti Africàni, orate pro nobis !…

Ces saints d’Afrique, ces fils de la terre aujourd’hui oublieuse de ses martyrs, ils forment une légion si compacte que leurs noms, mis l’un après l’autre, ont donné des litanies pour les sept jours de la semaine. L’archevêque nous les énumère, depuis saint Cyprien, qui ouvre ce défilé triomphal, jusqu’à sainte Pomponia qui le termine, en passant par les noms aux consonances lybiques ou carthaginoises d’obscures esclaves, de pauvres artisans, de pauvres travailleurs des champs, les Nabor,