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avoir abattu. Pendant la Terreur, la plupart se sont aplatis sous la main des proconsuls, quoique non sans quelques ressauts de révolte. Maintenant, le péril n’étant plus celui de mourir, mais tout au plus celui d’être disgracié, ils s’ingénient à réparer leur conscience avariée, et, si trois ou quatre mauvaises actions leur pèsent, ils s’appliquent à les effacer du souvenir des autres comme de leur propre mémoire. En se retrouvant dans les salles où leurs grands devanciers ont passé, ils se montrent de mœurs toutes changées, comme si quelque chose de l’ancienne gravité judiciaire était demeuré collé aux murs et se plaquait sur eux. Pareillement ils se disent, ils se répètent que l’indépendance était jadis la parure des magistrats et que cette parure est bonne à remettre à neuf, maintenant qu’elle ne coûte plus trop cher. En leur âme renouvelée, ils secouent les restes de peur et, se jugeant bien nantis d’absolutions, ils aspirent à tout, même à être considérés. C’est en cette disposition d’esprit qu’ils reçoivent les dossiers des affaires religieuses. Ils lisent la loi du 3 brumaire et se fixent sur ce terrible article 10 qui, d’un meurtrier trait de plume, ressuscite la Terreur. À cette lecture, ils sursautent. Juges, oui ils le sont, mais non pourvoyeurs de bourreaux. Ils ont jadis, dans leur jeunesse, protesté contre les sévérités de l’ancienne législation criminelle ; est-ce pour pratiquer maintenant de pires rigueurs ? Ils vont à leur bibliothèque et en tirent les beaux livres qu’ils ont achetés naguère dans les ventes à l’encan des anciens parlementaires ; ils s’imprègnent des maximes des philosophes sur le respect de la vie humaine, sur les devoirs de l’homme sensible. Et alors, dans un silence recueilli, pour éclairer leur propre entendement, ils plaident en eux-mêmes la cause de la clémence.

En cet examen, plusieurs considérations générales les frappent.

D’abord, bien qu’ils n’aiment pas les prêtres, ils ne laissent pas que de prendre en pitié leur sort, tant il leur paraît lamentable ! S’ils sont demeurés en France, on les déclare passibles de mort, parce qu’ils auraient dû passer la frontière et se déporter eux-mêmes. Si au contraire ils ont obéi et se sont exilés, on les déclare passibles de mort également, si jamais on peut les atteindre, parce qu’on les assimile aux émigrés. À cette implacable rigueur s’ajoute vis-à-vis de tous ces proscrits