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sont déferrés. Les commissaires du Directoire ne sont point dupes et, sous tous les prétextes, démasquent les complicités ; on dit des gendarmes du Puy-de-Dôme : ils font semblant de poursuivre ; de ceux de Saône-et-Loire : ils avertissent les prêtres ; de ceux du Bas-Rhin : ils sont les protecteurs des fanatiques ; de ceux de la Loire : ils sont tout acquis aux Chouans.

De temps en temps quelques arrestations, et alors éclate une joie bruyante. A côté des succès, quels ne sont pas les mécomptes ! Quand les captures ont été opérées, il y a parfois des rassemblements populaires qui délivrent, ou bien encore des conducteurs qui laissent échapper leur proie : ainsi en est-il dans le Haut-Rhin, la Haute-Loire, les Hautes-Pyrénées. Il arrive aussi que, dans les maisons de justice elles-mêmes, les verrous s’ouvrent mystérieusement, poussés on ne sait par qui. « Les prisons sont peu sûres, lit-on en divers rapports. » Un jour, dans le district de Ploermel, un prêtre est arrêté. Il est déposé à la maison de réclusion. Où le retrouve-t-on peu après ? En surveillance dans un château, chez une ci-devant marquise. La surveillance est-elle bien sévère ? Il reçoit des visites, et en particulier celles des officiers municipaux qui prennent parfois leurs repas avec lui. A quelque temps de là, il s’échappe, et, si je suis bien informé, on ne le revoit plus.

Dans les régions officielles, les colères éclatent. Des instructions se succèdent, d’une âpre et comminatoire violence. Surtout on rappelle la loi du 3 brumaire qui punit de deux années de détention les négligences des fonctionnaires. Sous l’aiguillon de la peur, les complicités se dissimulent un peu, et le péril de désobéir provoque une apparence d’activité. Vers les prisons, un certain nombre de fanatiques, prêtres ou complices des prêtres, sont acheminés. Contre les uns et les autres, les poursuites se préparent. Mais alors se dresse une autre résistance, celle des tribunaux.


III

Il faut pénétrer dans l’âme même des juges pour saisir ce qui s’y mêle d’obscurité et de lumière, de faiblesse et de courage, de préjugés et de sagesse. Presque tous sont de couches nouvelles, gens de loi qui se sont substitués aux hauts magistrats de jadis, et qui ne se guérissent pas d’envier, même après