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pas plus fait pour les hautes pensées que son corps malsain pour l’action intense, et de cette double impuissance il nourrit le sentiment douloureux. Il y a chez lui, par intervalles, des révoltes d’infirme, des malveillances de débile, des rigidités de pédant. Puis une haine, une haine implacable, celle du catholicisme, trouble l’habituelle placidité de son âme. Au seul nom de prêtre, un frissonnement de colère le secoue, et sa taille toute contrefaite se dresse, comme s’il avait à terrasser un ennemi personnel. C’est que, dans ses méditations solitaires, il rêve une religion à lui ; et, tout possédé de ce dessein, il travaille furieusement à extirper, comme on ferait d’une intolérable concurrence, l’autre religion, c’est-à-dire celle que le peuple a jusqu’ici révérée.

Deux militaires, l’un et l’autre anciens officiers du génie, complètent la table du Conseil : Letourneur (de la Manche), personnage insignifiant qui s’absorbera dans Carnot, puis Carnot lui-même survenu après ses collègues. Vers ce retardataire volontiers les yeux se tournent. Il est marqué d’une flétrissure ; car il a fait partie du Comité de Salut public. En même temps, on se souvient en quoi il s’est racheté. « Il a organisé la victoire, » s’est écrié pour sa défense l’un des Conventionnels ; et ce mot qui l’a sauvé de la proscription résonne, avec un son d’hommage glorieux. Dans l’accomplissement de sa tâche, on le verra laborieux plus que personne ; il se montrera intègre jusqu’au scrupule, austère en une société dissolue, noblement passionné pour le bien public. Cependant, en ses habitudes d’infatigable labeur et tout confiné dans les choses militaires, il s’isolera un peu de ses collègues. Ce sera dédain de soldat pour les agitations politiciennes. Ce sera aussi embarras de se fixer. Sa clairvoyance d’homme d’Etat l’inclinera vers l’ordre ; ses attaches jacobines le ramèneront en arrière, et l’image du Comité de Salut public le couvrira d’une ombre qui brouillera tous ses desseins, qui obscurcira jusqu’à ses pensées. Aussi demeurera-t-il à demi impuissant, doutant des autres et de lui-même, aussi englué dans la politique que précis dans les affaires, trop compromis pour inspirer aux hommes d’ordre la confiance, trop hautain lui-même pour la gagner au prix d’un désaveu.

Tels apparaissent les membres du Directoire. Quelle conduite suivront-ils ? Dans l’ordre politique, on les verra mêler les