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image du genre de sa religieuse pensée. Il ne croit pas que Dieu soit ajouté à la nature et qu’il y ait la nature d’abord, puis Dieu qui intervient ; il ne croit pas que la nature existe sans Dieu et que ni la méditation ni la seule contemplation de la nature ait à omettre Dieu ; il ne sépare pas l’idée de Dieu et le culte qui est rendu à cette idée : l’autel couronné d’encens ne lui parait pas un ornement que nous plaçons dans la nature, mais le symbole que la nature même procure à notre juste rêverie. Et il est dit que les cieux racontent la gloire de Dieu : les cieux, et la terre aussi. Et c’est ainsi que l’image de l’autel couronné des fumées de l’encens achève la peinture d’un paysage où notre exacte rêverie a deviné Dieu, senti et adoré son éternelle et véritable présence.

La religieuse rêverie transfigurant toutes choses, les paysages, l’histoire et la philosophie : voilà le thème des plus beaux poèmes de M. Louis Le Cardonnel et, — pour employer un mot futile, — voilà l’un des effets dont sa poésie est le plus fréquemment curieuse ; il vaut mieux dire que cette vue si pénétrante est le plus habituelle à son génie que la foi gouverne.

Un paysage ? Voici le lac de Trasimène ; le printemps sourit aux flancs de ses coteaux, ou bien l’été rayonne à la surface de l’eau tranquille,

Dans la paix du matin, comme aux heures pensives
Du soir, qui fait rentrer les barques vers les rives…

Le paysage contient l’éternité divine et contient la passagère histoire humaine. Et Trasimène a vu Annibal vainqueur de la force romaine, les soldats morts, le sang de Rome tachant les rives, rougissant l’eau. Mais saint François vint en ce lieu tragique :

Les élans de son âme émurent ton silence !

Il a mouillé sur le rivage ses pieds marqués du stigmate ; il a parlé au vent, aux collines et à l’eau ; puis il s’en est allé…

Il a suffi du rapide passage de l’emblème divin pour diviniser la rive et le lac et ce coin de nature et l’âme qu’il enferme.

Il suffit d’un songe accordé aux vérités divines pour que ne soient plus les mêmes nos journées, les menus accidents de nos journées ; et, dans les hasards qui sont le symbole de l’étourderie, dans les tumultes et las vacarmes qui ne sont que réalité fausse, lei vérités immuables apparaissent :

Sous le soleil pesant, la foule immense clame.
Ah ! quand tombera, dur et stérile, ce bruit ?