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Dans un vert jardin de printemps, sous le ciel d’un matin qui mêle ses nuages et son soleil aux branches, le maître se promène par les allées, rêvant de Platon, de Virgile et de Dante ; voici le jeune essaim de ses disciples qui l’entoure. Il leur parle de la nature et des livres.

Sans la nature, les livres sont de mornes choses desséchées ; et l’on dirait qu’ils ont vieilli, l’on dirait même qu’ils sont morts, si l’on n’aperçoit plus qu’ils peignent ce qui, à travers tous les changements, dure, la mobile nature, ses printemps qui reviennent, l’incessante péripétie de l’année, de la saison, de l’heure. Sans les livres, la nature n’est presque pas humaine et digne de notre amitié : elle semble étrangère à nous. Les poètes et les penseurs l’ont rapprochée de nous et nous l’ont donnée. La réunion des livres et de la nature est l’histoire la plus charmante et pathétique. Le maître l’enseigne à ses disciples et ainsi leur enseigne à la fois le bonheur et la pensée. Il leur continue la leçon des sages antiques et la mène jusqu’aux vérités enfin découvertes par la révélation.

La nature qu’il les invite à regarder et à comprendre est bien digne de leur admiration. C’est le paysage d’Italie ; et il sait le peindre : il en peint les nouvelles apparences et le passé persévérant.

J’ai connu la Cité des fleurs, l’auguste Dôme,
Le fleuve aux quais joyeux et les nobles jardins
Dont le vent du matin emporte au loin l’arôme.
Dante m’est apparu de loin, puissant fantôme ;
J’ai retrouvé l’odeur des temps médicéens.

La paix du Val d’Arno m’était hospitalière.
A Figline, par des matins resplendissants,
Tandis que les grands bœufs soulevaient la poussière,
Je voyais les coteaux fumer dans la lumière
Ainsi que des autels couronnés par l’encens.

On a dit, — et c’est une imprudence de raisonneurs, — qu’il y avait une espèce de perversité à peindre les spectacles naturels par la comparaison des objets que l’homme fabrique ; et il serait plus normal, dit-on, d’interpréter par la nature les objets, la nature étant donnée d’abord. La nef d’une cathédrale, avec ses hauts piliers, vous rappelle une avenue de forêt : vous n’avez pas besoin de la cathédrale pour que la forêt soit évoquée à votre imagination. Les autels couronnés par l’encens ressemblent peut-être à ces coteaux d’où s’élève la fumée des chauds matins : ce ne sont pas les coteaux qui sont à la ressemblance des autels. Seulement, ici, dans ce poème de Toscane, un religieux poète a vu les couleurs et les lignes se transformer en