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semblent peut-être ce qu’il y aurait de moins ridicule. Tout serait préférable au modern style qui sévit actuellement, de La Goulette à La Marsa, et qui transforme toute la vieille péninsule punique en une vague banlieue niçoise ou marseillaise.

Mais, sur l’emplacement, ou dans les environs de la Carthage latine, pourquoi ne nous referait-on pas des villas romaines ? Il y a des gens toujours prêts à dépenser leur argent pour avoir des contrefaçons de villas mauresques. Pourquoi les mêmes gens ne s’offriraient-ils pas le plaisir, infiniment plus rare et plus distingué, de refaire une villa romaine ? En quoi ces pastiches seraient-ils plus absurdes que les autres ? Pendant ce dernier quart de siècle, on a vraiment abusé, en Algérie surtout, de ces imitations néo-mauresques, qui exaspèrent à juste titre les vieux Algériens. Le snobisme aidant, on a multiplié les écoles, les bureaux de poste, les musées, et même, — Dieu me pardonne ! — les églises de style Fat lima. C’est une manifestation d’arabophilie, une flatterie aux indigènes, qui, d’ailleurs, préfèrent de beaucoup l’esthétique de nos palaces et de nos maisons à six étages.

En tout cas, le moment paraît venu de modérer ces orgies de bâtisses pseudo-arabes. La villa, telle qu’on la construisait en Afrique, à l’époque romaine, serait tout aussi nationale que la villa mauresque. Elle serait même plus antique, plus africaine. Outre ce prestige d’antiquité, elle aurait encore le très grand avantage de s’adapter infiniment mieux aux exigences de la vie et du confort modernes. Avec ses loggias en arcades, ses belvédères, ses tours à coupoles, elle est faite pour dominer de grands paysages, ceux de la mer comme ceux de la plaine. La maison mauresque est à peu près aveugle. Ses petites fenêtres grillées n’encadrent que des coins de nature très exigus : la vasque d’un jet d’eau, un buisson de roses, deux ou trois cyprès ! La villa romaine, largement ouverte à l’air et à la lumière, admet, comme la mauresque, les petites chambres ombreuses qui ne prennent jour que sur un patio intérieur. Et ainsi elle réunit fort heureusement des commodités et des agréments qui, ailleurs, sont séparés.

Il est vrai qu’elle coûterait beaucoup plus cher, parce qu’elle nécessiterait une décoration à la fois intérieure et extérieure et qu’elle réclamerait un effort d’art plus considérable, plus difficile à réaliser. Mais nous supposons de généreux mécènes disposés à