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comme un cri d’espoir poussé par le Pontife de Rome devant les dévastations vandales et musulmanes. Le Pape ne se résigne pas à la défaite et à l’invasion. Il appelle de tous ses vœux la résurrection de la Carthage chrétienne. Ce vœu, le cardinal Lavigorie le fait sien, après plus d’un millénaire. « Le premier archevêque après le Pontife romain » répète le cri du vieux Pape, son prédécesseur sur le siège épiscopal de Toul et de Nancy. En face de l’Afrique islamisée, divisée et anarchique, il ne voit pas, lui non plus, d’autre moyen de lui rendre la paix et l’unité, que de la ramener à sa foi antique. Rétablir l’unité, pour rétablir la paix, ç’a été la grande tâche apostolique de saint Augustin. Le cardinal Lavigorie a entrevu quelque chose de cette tâche : réconcilier les Musulmans avec nous par la communion religieuse, telle a été sa principale idée inspiratrice, celle qu’on retrouve dans toute sa conduite, dans toutes ses fondations, sous-entendue enfin dans tous ses écrits. Et c’est pourquoi Carthage, — outre les découvertes scientifiques qu’elle lui promettait, — avait tant d’importance à ses yeux. Elle était, pour lui, le symbole de l’unité future de l’Afrique.



Les Tunisiens d’aujourd’hui n’ont point d’aussi sublimes conceptions, ni d’aussi longs espoirs.

Ils ne considèrent dans Carthage qu’un endroit frais et confortable pour passer l’été. Et c’est la raison pour laquelle ils s’y précipitent. Il paraît tout à fait vain de vouloir arrêter ce mouvement. Comme l’avoue lui-même le docteur Carton, le plus ardent promoteur, pour ne pas dire l’apôtre de la résurrection archéologique de Carthage, — il faut se résigner à faire la part du feu. Les plus sévères prohibitions administratives seraient inutiles : la vie moderne, avec ses tramways électriques et tout son matériel de « civilisation, » est déjà rentrée victorieusement dans la ville de Salammbô.

Mais, s’il faut accepter comme une nécessité la construction d’une ville nouvelle, ne pourrait-on imposer un style à ces bâtisses, afin qu’elles ne jurent pas trop avec les ruines antiques qui, dès maintenant, les avoisinent, et que des fouilles prochaines, — nous l’espérons, — vont multiplier aux alentours ? Des villas, des maisons, des édifices publics dans le goût italien, ou dans le goût classique français du xviie et du xviiie siècles,