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pourrait être ménagée par toute une série d’autres villes mortes.

Un très petit nombre seulement ont des ruines suffisamment dégagées pour mériter qu’on s’y arrête. M. Alfred Merlin, l’actuel directeur du Service des Antiquités tunisiennes, vient d’exhumer l’une d’elles, Thuburbo majus, — non loin d’un village moderne qui s’appelle le Pont du Phas. Ce beau travail n’inspire qu’un regret, c’est que ce soit là un exemple isolé et trop rare de ce qui devrait être exécuté intrépidement d’un bouta l’autre du pays.

Pour s’y rendre, on traverse l’ancienne Uthina, — l’Oudna d’aujourd’hui, — dont les vestiges romains, très nombreux et très facilement reconnaissables, sont laissés à l’abandon, et dont toutes les mosaïques ont été déménagées et transportées au musée du Bardo, — des mosaïques à sujets réalistes ou mythologiques : scènes de pêche, Orphée charmant les bêtes sauvages, Hercule couronné par la Victoire, et bien d’autres morceaux fameux. En dépit de toutes les dévastations, Oudna garde, à l’horizon de sa vallée, une ruine antique incomparable, — les débris du grand aqueduc, qui amenait à Carthage l’eau du Zaghouan.

Il faut le voir, un matin de printemps, sous un ciel léger, lorsque la lumière est encore douce aux regards et qu’un reste de fraîcheur, venu de l’Oued Miliane, rend l’air plus suave. Le tapis vernal ondule à l’infini, d’un bout à l’autre de la vallée, vers les montagnes lointaines. La diaprure en est prodigieuse sous l’ardent soleil africain : c’est une diversité’ extraordinaire de couleurs et de nuances, — bleu pâle, jaune, vert, blanc, pourpre vive, vermillon. Çà et là, le long de la voie, étalés en grandes taches lilas et mauves, les liserons des ; sables luisent comme de petits coquillages délicatement colorés. Et toute cette broderie florale s’étend, en une chatoyante mosaïque, jusqu’aux arches rompues de l’Aqueduc, qui, suivant les accidents du terrain, ou la succession plus ou moins rapprochée de ses brèches, prend les aspects les plus variés et les plus inattendus : un temple ou un arc de triomphe à demi enterré dans le sol, — le péristyle d’une cella capitoline découronnée de son fronton et de son architrave, — là-bas, une colonnade en hémicycle, un portique aux méandres sans fin qui se déploie mollement à travers la vallée et qui s’efface progressivement et qui disparaît derrière la ligne bleue des montagnes.