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malgré cela, ils ont conscience de leur valeur individuelle et personnelle. Avec quelle piété ils mentionnent leurs noms et leurs filiations. Avec quel orgueil ils commémorent les services qu’ils ont rendus à leur patrie ! Quelle joie de l’embellir, de contribuer de ses deniers à la beauté comme à l’assistance publique, de construire des théâtres et des temples, de donner des banquets, des jeux, des distributions de vivres ! Quoi qu’on puisse penser des tares de la Cité antique, — de ses brutalités et de ses corruptions, — il y avait là certainement un idéal de civilisation matérielle qui n’a jamais été dépassé.

Je songe à tout cela en cherchant, de la place où je suis, l’inscription qui, autrefois, déployait ses grandes capitales au fronton du temple de Mercure, — et cette inscription prend pour moi une signification fastueuse et presque triomphale. Elle rappelle que Quintus Pacuvius Saturus, flamine perpétuel de la Colonie Julienne Carthaginoise, et Nahania Victoria son épouse, également flamine perpétuelle, ont relevé et orné ce sanctuaire, — et légué une somme dont le revenu annuel servira à fournir des distributions de vivres, et, le jour anniversaire de la consécration du temple, à donner des jeux scéniques et des sportules aux décurions des deux ordres et au peuple tout entier : « Ob diem dedicationis ludos scænicos et sportulas decurionibus utriusque ordinis et universo populo dédit. »


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Toutes ces impressions seraient beaucoup plus vives pour le voyageur, si la restauration des ruines était plus poussée et surtout si l’on se décidait à continuer les fouilles sur une plus vaste échelle. Encore une fois, ce vœu n’implique nullement la critique de ce qui a été fait jusqu’ici soit par le docteur Carton soit par le service des Antiquités. Avec des ressources aussi restreintes que celles dont ils disposaient, il faut avouer que les archéologues ont obtenu d’étonnants résultats. On souhaite seulement que leur œuvre soit poursuivie avec un redoublement d’intensité, sans lésine, sans repentirs, et encore une fois, d’une façon vraiment digne de la France.

En somme, il faudrait essayer de dégager la ville tout entière, et, puisque les ruines antiques sont ensevelies sous les gourbis d’un hameau indigène, faire à Dougga ce qu’on a fait à Delphes : exproprier les habitants qui se transporteraient ailleurs.