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de chaleur, elles n’ont pas l’aspect froidement géométrique de nos modernes architectures. Sous les acanthes épanouies et roussies par le soleil de leurs chapiteaux corinthiens, les colonnes semblent vivantes comme des troncs de palmiers sous la couronne de leurs souples feuillages et de leurs fruits dorés. Des traces de polychromie, toujours visibles, ajoutent encore à l’opulence de ces tons naturels. Sur le fond d’or du tympan, glissent comme des nuances de pourpre pâle, d’azur évanescent. Parmi ces couleurs fugitives, on distingue pourtant les contours d’une grande composition sculpturale. L’enlèvement de Ganymède par l’Aigle olympien était figuré au fronton de ce temple consacré à Jupiter. Les grandes ailes déployées de l’Oiseau céleste palpitent encore à la cime du sanctuaire.

Mais, malgré cette variété mouvante des formes, cette somptuosité de la couleur, — et toutes ces brèches et toutes ces cassures, tous ces stigmates du temps et de la barbarie, — ce petit temple est d’une pureté de lignes merveilleuse. La silhouette du péristyle tout au moins est d’une beauté, d’une perfection toutes classiques. On cherche dans ses souvenirs ce qui en approche, ou ce qui la dépasse, — et ce sont les chefs-d’œuvre les plus fameux de l’art antique qui se présentent à l’esprit. On songe à la Lesché des Guidions, dans l’enceinte de l’Apollon delphique, — et ce bijou archaïque paraît bizarre à côté. Le temple de Balbek est trop surchargé, écrasé sous sa luxuriance ornementale. La Maison carrée de Nîmes semble froide et trop correcte par comparaison. Non, vraiment il n’y a que les très grandes choses qui soutiennent la confrontation avec le temple de Dougga : il vient immédiatement après les petits sanctuaires de l’Acropole d’Athènes et les plus beaux monuments de l’art grec.

Le cadre vaut l’édifice. A droite, s’étend un forum, avec un petit temple à triple cella, précédé d’un portique corinthien et dédié à Mercure. Plus à droite encore, une rue débouche, — une rue en pente et tortueuse, qu’on appelle la rue de la Piété, parce que la Piété Auguste y avait une chapelle, avec une façade à colonnes, en bordure de la voie. Pareils à des pièces d’orfèvrerie, des chardons aux reflets argentés et bleuâtres dressent une étrange végétation métallique au milieu des ruines et des herbes roussies. Les dalles sont disjointes, tumultueuses, comme soulevées par des éruptions souterraines. La couleur de l’ensemble, des