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Que dire des prêtres eux-mêmes livrés aux travaux de leur ministère ? En bien des diocèses, le Denier du Culte n’a que très insuffisamment suppléé à la suppression du traitement concordataire, et tandis que partout les plus humbles fonctionnaires voient augmenter leurs appointements et touchent l’indemnité de vie chère, beaucoup de nos évêques se demandent s’ils vont pouvoir continuer à servir à leurs prêtres un traitement de misère, — ces 900 francs qu’ils s’étaient efforcés de maintenir jusqu’ici. Plusieurs déjà ont été obligés de le réduire, et nous pourrions citer des diocèses où, même dans les petites paroisses où le casuel est insignifiant ou nul, le curé ne reçoit plus de son évêque que 8, 7 et même 500 francs ! Même avec les honoraires de messe que nous avons été obligés, à notre grand regret, de majorer, c’est à peine, pour beaucoup de curés de campagne, de quoi ne pas mourir de faim. En ce moment beaucoup sont obligés de se servir eux-mêmes, faute de pouvoir payer une domestique ; je sais tel et tel de nos prêtres de la haute montagne, qui, le dimanche matin, après avoir fait deux ou trois lieues, à pied, dans la neige, pour dire la messe et faire le catéchisme dans deux paroisses, rentré à son foyer solitaire, le trouve sans feu, est obligé (qu’on me pardonne ces détails réalistes) de l’allumer lui-même, de faire chauffer la tasse de café ou le bouillon qui doit le sustenter.

Telle est, autant qu’elle peut être décrite en quelques traits rapides, la situation critique de l’Eglise de France et la répercussion de ses ruines matérielles sur ses œuvres les plus vitales, au détriment de milliers d’âmes. Elle ne pourrait se prolonger qu’en nous précipitant à un avenir chaque jour plus désastreux et plus irréparable, les fidèles se désaccoutumant de leur devoir d’assistance à l’égard de leur église.

Il faut donc nous réorganiser ; mais pour cette réorganisation, les ressources nécessaires nous manquent ou sont insuffisantes. Sauf des exceptions qui méritent toute notre reconnaissance, beaucoup de catholiques se sont montrés plus intrépides à subir de telles ruines qu’à les réparer, et sauf dans un petit nombre de diocèses, leurs aumônes sont sans mesure avec nos détresses. Les causes de cette insuffisance, à l’heure où le plus grand nombre doit nécessairement compter avec les exigences d’une vie chaque jour plus onéreuse, sont multiples, mais la principale peut-être est dans notre état de désorganisation et d’illégalité. Plusieurs,