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grande importance pour le moral des troupes soient toujours aussi mal préparées.

Personnellement, j’installe mon Quartier-Général à la cure, où nous sommes reçus sans enthousiasme. Un colonel de cavalerie logeant déjà dans la maison, il n’y a plus qu’un seul lit disponible, et je l’occupe. Mes officiers s’installent sur de la paille fraîche autour du fourneau de la cuisine, fort heureux encore d’être au sec et au chaud, et de pouvoir enfin dormir à l’abri de toutes les catastrophes possibles, graves ou anodines.

En savourant moi-même un repos que je trouve délicieux dans un vrai lit, j’éprouve aussi une détente d’esprit vraiment bien agréable après quarante jours de soucis, d’alertes et de combats continuels. C’est à ce moment que j’apprécie la justesse de la loi générale qui fait dépendre le bonheur des contrastes de l’existence.

Je pense aussi qu’il est grandement temps que ma brigade soit relevée du front. Les pertes très fortes en officiers et en gradés, l’arrivée fréquente de nombreux renforts que l’on ne peut incorporer dans les compagnies que de nuit et sur la ligne de feu, l’impossibilité de faire autre chose que des relèves partielles de tranchées à tranchées, ont détruit petit à petit la cohésion sans laquelle une troupe n’a plus de valeur. On tient toujours, évidemment, et l’on bouche les trous à mesure qu’ils se produisent, mais, à partir du moment où les officiers, les gradés et les hommes du rang ne se connaissent plus entre eux, le retour au cantonnement s’impose, pour une reprise en mains nécessaire.

Du côté matériel, nous avons atteint aussi les limites qu’on ne peut ni ne doit dépasser. L’habillement est lamentable, l’équipement ne l’est pas moins, et les armes ne sont plus entretenues. Nous avons un besoin absolu de quelques jours, je n’ose espérer plus, pour mettre tout en ordre.


RONARC’H.