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nombreux sanctuaires païens. A Hippone, le siège épiscopal de saint Augustin, on a retrouvé d’importantes mosaïques, des villas ou des maisons, avec leurs cours intérieures bordées de colonnades, et naturellement, une foule de débris, de sculptures et de céramiques. A Carthage enfin, le peu qu’on a déblayé annonce et fait souhaiter des découvertes considérables. C’est là surtout qu’il faudrait entreprendre de grandes fouilles méthodiques et persévérantes. Dût la curiosité scientifique ou esthétique être déçue, Carthage mérite qu’on s’occupe d’elle avant les autres villes africaines, en raison d’abord de son importance historique et parce qu’elle fut une des quatre ou cinq grandes capitales du monde ancien.

S’il y a un lieu de pèlerinage pour ceux qui ont le culte du passé, c’est assurément celui-là. Les souvenirs qu’il évoque, souvenirs héroïques, poétiques, légendaires, sont parmi les plus illustres et les plus beaux que l’antiquité, nous ait laissés. Et puis enfin, la plus haute tragédie du vieux monde méditerranéen, c’est là qu’elle s’est dénouée. Un moment vint où l’on put craindre que la Méditerranée tout entière, avec l’hégémonie de Carthage, ne fût orientalisée. Déjà Alexandre et ses successeurs s’étaient laissé déborder par les mœurs et les idées orientales. Allions-nous devenir phéniciens, syriens ou égyptiens ? Le duel fameux entre Rome et Carthage n’eut pas d’autre signification. Mais celle-ci représente quelque chose de plus impérissable encore et qui nous touche de plus près. La Carthage romaine, avec Tertullien, saint Cyprien, saint Augustin, c’est le catholicisme latin prenant conscience de lui-même, définissant ses dogmes, organisant son administration ecclésiastique, sa discipline, sa hiérarchie, son monarchisme. Rome, à cette époque, n’avait d’autre supériorité sur elle que la primauté du siège apostolique. Carthage reste donc une des grandes capitales de la pensée religieuse occidentale. Façonnée par le génie d’Augustin, l’âme catholique y a pris une forme nouvelle. Une bonne part de notre sensibilité et de notre intellectualité modernes nous est venue de là. Carthage fut pour nous un berceau et un foyer lumineux.

Ce serait une erreur de croire que ce passé est aboli pour jamais. Il vit toujours en nous. L’histoire se continue dans notre chair et notre sang, comme dans nos esprits. Les drames du passé se répètent dans ceux du présent. L’exagération paradoxale