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Personnellement, je n’ai rien appris, sinon que des troupes fatiguées ne sont pas bonnes pour des attaques, ce qui est probablement évident. Quoi qu’il en soit, l’attaque sera reprise demain matin, mais je n’y crois plus. Comme le château n’est pas enchanté, il faut bien que son parc soit amplement garni de mitrailleuses parfaitement défilées et protégées qui défient vraisemblablement l’artillerie de campagne. Il faudrait donc les repérer avec précision, d’abord, puis les culbuter avec des obus puissants, mais ce travail est impossible de nuit.

Dans la soirée, le bataillon de marins Rabot relève un bataillon de Sénégalais aux tranchées Nord de Dixmude. Deux pièces de 120 sont mises à ma disposition, et je les place au Sud du passage à niveau d’Ootskerke.

La pluie tombe abondamment, rendant l’obscurité de la nuit très opaque, et il en résulte un incident désagréable, malgré certains côtés humoristiques. Pour rentrer à son Quartier général, le général monte dans un automobile, qui l’attend près du pont-route, et dont le chauffeur a allumé les phares. Comme la consigne formelle de mon secteur est de n’avoir aucune lumière apparente, l’automobile est arrêté avant d’avoir parcouru 100 mètres, et reçoit l’injonction, probablement dépourvue d’aménité, de tout éteindre sous peine de voir ses phares brisés à coups de crosse de fusil. Le général s’y oppose, sans aucune aménité non plus, car il n’est pas patient. Comme la scène se passe devant le P. C. du commandant Frèrejean, le commandant, attiré par le bruit, intervient pour assurer l’exécution de la consigne. Mais il n’y va pas de main-morte, car il ouvre la portière de la voiture, et braque son revolver sur le général, qu’il n’a pas reconnu et qu’il menace en un langage énergique. Naturellement, ce geste met le général hors de lui, et amène une violente altercation qui se serait mal terminée pour le commandant Frèrejean, si le chauffeur n’avait jugé plus prudent d’éteindre les phares et de démarrer vivement, au risque d’aller dans le fossé. Toutefois, l’affaire n’est pas close, et c’est à moi qu’elle revient sous la forme de l’injonction du général d’avoir à faire le nécessaire pour qu’il ne soit plus gêné par mes consignes. Comme il est mon chef, je ne puis que déférer à son ordre en prescrivant que la consigne relative à l’interdiction des lumières ne concerne pas l’automobile du général, mais reste strictement en vigueur pour toute autre personne.