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beaux jardins, l’Institut Marie présente l’aspect tranquille d’un bel hôtel de province et forme un étrange contraste, du moins vu du dehors, avec les palais qui abritent nos assemblées occidentales. A l’intérieur, la différence est moins sensible. Un large vestibule conduit directement à la salle des séances et donne accès, à droite, à l’ancien parloir, devenu la Salle des Pas-Perdus. Au bout du parloir, la buvette, avec ses murs blancs vernis et ses baies vitrées ouvertes de toutes parts sur les jardins, offre aux députés et aux journalistes un lieu de répit fort agréable. Le service est assuré par de jeunes femmes, dont plusieurs sont jolies, — visages moins réguliers qu’expressifs, encadrés de boucles courtes, — et qui toutes portent avec grâce un uniforme du meilleur goût : blouse et petit tablier blancs brodés sur une courte jupe de satin noir, bas et souliers blancs. Comme j’admirais tant d’élégance, un député m’expliqua qu’à l’ouverture de la Diète les dames de l’aristocratie varsovienne avaient revendiqué l’honneur de servir elles-mêmes les élus de la nation. Ce beau zèle dura peu, mais la tradition demeura, et ces demoiselles de la buvette continuent de s’en inspirer.

Les séances se tiennent dans l’ancienne chapelle de l’Institut, qui est à peine transformée. Dans le chœur, sur un faux-plancher plus élevé que celui de la nef, on a disposé au fond le siège réservé au maréchal de la Diète (président de l’Assemblée) ; à droite et à gauche, les bancs des ministres et des sous-secrétaires d’Etat ; sur le devant, la tribune des orateurs. Au front de l’abside se lit cette inscription : Salus Reipublicæ Suprema Lex. Elle prend dans ces jours critiques une signification bien émouvante.

Les députés sont assis sur les bancs qui garnissent les trois nefs. M. Witos et les paysans du parti Populiste occupent les premiers rangs au centre ; parmi eux, une femme, — il y en a six à l’Assemblée, — se distingue beaucoup moins à sa blouse sombre et à ses cheveux courts, qu’au gros collier de corail qu’elle porte au cou, noué par un long ruban rose, à la mode campagnarde. On discute avec le plus grand calme un projet relatif à la réorganisation de la police. J’ai le sentiment que, dans les couloirs, on doit agiter des questions plus brûlantes, et je quitte la tribune des journalistes pour revenir à la Salle des Pas-Perdus.