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une redoute avancée du slavisme vers l’Occident ; la Pologne constitue le rempart de l’Occident contre le slavisme.

— J’ai été frappé, au cours de mes conversations, de la sympathie que les Polonais témoignent pour les Hongrois. Est-ce pur sentiment, ou bien est-ce l’indice de quelque affinité politique, dont il y ait lieu de tenir compte ?

— Cette sympathie existe, me répondit M. Rostworowski ; elle repose sur une longue tradition historique, sur de nombreux liens entre les grandes familles des deux pays, et les atrocités commises par les troupes hongroises en Galicie ne l’ont pas détruite. J’ignore les projets de notre gouvernement ; mais je suis persuadé qu’un accord économique et même politique entre Hongrie et Pologne serait facile à établir et bien accueilli des deux côtés. Ce qui déconcerte un peu notre opinion, c’est la diversité, pour ne pas dire plus, des systèmes qu’on préconise à Londres, à Paris et à Rome. Si nous semblons nous ranger au projet français, on nous reproche de faire obstacle à la combinaison italienne, et inversement. Nous serions beaucoup plus à l’aise, si les Puissances de l’Entente se mettaient d’accord entre elles sur un système de groupements et d’alliances, qu’elles nous proposeraient toutes ensemble. Mais peut-être cet accord préalable est-il lui-même difficile à établir.

J’ai eu l’occasion d’examiner les mêmes problèmes, dans mes entretiens de Varsovie, avec des membres de la Diète, avec des journalistes, et surtout avec les principaux chefs de service du ministère des Affaires étrangères. Je ne saurais assez reconnaître la bonne grâce avec laquelle ces messieurs ont consenti à m exposer en détail certaines questions, qui devaient leur paraître bien secondaires, a un moment où une autre question se posait de la façon la plus angoissante : celle de l’existence de la Pologne. Et je n’oublierai jamais l’émotion éprouvée, durant mes visites matinales au Ministère, dans les derniers jours de juillet, au moment où arrivaient les nouvelles du front. À cette époque, elles étaient chaque jour plus inquiétantes ; mais nul ne perdait courage. Quand j’avais reconnu sur la carte les nouvelles positions occupées par les bolchévistes, — ils n’étaient plus alors qu’à quatre-vingts kilomètres de Varsovie, — un jeune employé me montrait avec une fierté souriante la liste, chaque jour plus longue, des volontaires qui, de toutes les parties du pays, avaient répondu à l’appel du Conseil de Défense et