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relations fréquentes et actives avec Savinkoff, avec Merjkowski, avec Roditcheff, qui, comme vous le savez, ne sont ici que pour préparer une entente entre la Russie et la Pologne. Je lis régulièrement la Cause commune de Bourtzeff et suis d’accord avec lui sur bien des questions. Mais, de ce rapprochement également nécessaire pour les Russes et pour nous, nous ne devons pas faire seuls tous les frais.

« Vous m’avez demandé mon sentiment, et peut-être vous l’ai-je fait connaître avec trop de franchise. J’invoquerai, pour mon excuse, l’admirable réplique de Napoléon à un conseiller d’Etat qui, invité à donner son opinion sur une question, crut bien faire sa cour en soutenant le point de vue qu’il savait être celui du maître. « Monsieur, interrompit brusquement l’Empereur, je vous ai demandé votre avis, je ne vous ai pas demandé le mien. »

M. Askenazy m’avait fait toucher du doigt la difficulté capitale, celle que tout homme d’Etat polonais devra envisager résolument et s’efforcer de résoudre, s’il ne veut pas livrer aux aventures les plus incertaines et exposer aux pires dangers un pays qui n’a pas encore atteint la plénitude de ses forces et que protégeront toujours insuffisamment des frontières conventionnelles. Mais quoi ! n’est-il point-il point fatal qu’à Varsovie, où l’on a terriblement souffert des Russes, on les juge plus sévèrement et l’on garde contre eux plus de haine qu’à Cracovie ou à Lwow, où l’on n’a connu que le joug autrichien ? Faut-il s’étonner que des hommes qui ont laissé leur jeunesse et une partie de leur vigueur dans les prisons russes ou en Sibérie, éprouvent d’abord quelque répugnance à tendre la main à leurs anciens persécuteurs ? Comment enfin les Polonais, — je parle de ceux du royaume, — n’hésiteraient-ils pas à rétablir, sans avoir pris certaines précautions, un contact qui leur fut néfaste et n’a peut-être point cessé d’être dangereux ?

— L’Allemagne, me disait l’un d’eux, a persécuté cruellement nos frères de Posnanie ; mais, loin de les asservir, elle a développé en eux, probablement sans le vouloir, une capacité de résistance, des qualités de discipline et d’organisation dont ils bénéficient aujourd’hui ; tandis que l’influence russe a agi sur nous comme un dissolvant, comme un poison, dont nous sommes encore infectés et que nous n’éliminerons pas en un jour. Avant de nous exposer de nouveau à la contagion,