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soigneusement toute entreprise, toute action de nature à susciter entre elle et lui un antagonisme irréductible.

L’entreprise ukrainienne, malgré toutes les précautions prises par ses auteurs, laissait subsister une équivoque dangereuse. Avant de pénétrer dans une province, qui n’est certainement pas polonaise, M. Pilsudski avait déclaré publiquement que son intention n’était pas d’y rester. Plus tard, en un moment critique pour l’armée et pour la nation, le chef de l’Etat jugea opportun d’expliquer sa pensée, en termes plus catégoriques. « Notre ennemi, déclarait-il le 5 juillet dans sa proclamation à l’armée, ce n’est pas la Russie, mais bien le bolchévisme, qui fait gémir le peuple russe sous son joug et veut étendre son autorité sanglante sur la Pologne. » Certes, il était utile d’établir cette distinction ; mais combien il devait être difficile, au cours d’événements critiques, de la maintenir et de la justifier !


POLOGNE ET RUSSIE : ENTRETIEN AVEC M. ASKENAZY

Deux jours après la déclaration de M. Pilsudski, j’allai faire part de mes inquiétudes et demander son avis à un homme qui, sans être mêlé officiellement à la politique, passe pour exercer sur quelques-uns de ceux qui la dirigent une influence considérable Historien de grand talent, le professeur Simon Askenazy a écrit sur Napoléon un ouvrage qui est classique en Pologne et mériterait de le devenir en France. Grand, mince, avec des yeux perçants dans un visage dont tous les traits sont accentués vigoureusement, M. Askenazy donne beaucoup moins l’impression d’un homme d’étude que d’un homme d’action ; sa parole est nette et un peu coupante ; tout marque en lui, sinon la passion de l’autorité, du moins la volonté de convaincre.

— Il ne servirait à rien, me dit-il, de jouer sur les mots. Les bolchévistes sont toujours des Russes, et Lénine reprend à son compte la politique de la Grande Catherine, comme votre Danton a continué la politique d’Henri IV et de Richelieu. Quel est le programme du gouvernement de Moscou ? expansion simultanée au Sud, vers la Perse, et à l’Ouest, vers l’Allemagne à travers la Pologne ; conclusion entre l’Allemagne et la Russie d’une alliance qui présentera tous les caractères et tous les dangers de la Sainte-Alliance, quelle que soit l’étiquette