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méchantes gens. De leur naturel ils sont doux, dociles et plutôt un peu craintifs. Mais ils avaient été longuement excités contre nous, d’abord par les agents autrichiens, puis par leurs leaders politiques et par leurs prêtres, qui sont presque tous violemment anti-polonais. Je vous ai dit que les soldats ukrainiens, chez nous, s’étaient conduits en sauvages. Ces mêmes hommes, leur colère tombée, redevenaient les paysans craintifs que nous avions connus autrefois. Parmi ceux que j’ai soignés, plusieurs m’ont dit tristement : « On nous avait pourtant assuré que la guerre était finie. Que faisons-nous donc ici, et pourquoi y sommes-nous venus ? »


L’OPINION A VARSOVIE

Si, en Galicie, on déplorait généralement l’aventure ukrainienne, l’alliance avec Petlioura et la marche sur Kiew, il n’en était pas de même dans la Pologne du Congrès, où la politique du gouvernement et des militaires comptait de nombreux partisans. A Varsovie, l’Etat-major assurait qu’il n’avait pris l’offensive que pour prévenir une attaque générale des bolchévistes, dont il était avisé et qu’il n’était pas certain de pouvoir arrêter en maintenant ses troupes sur la défensive ; il négligeait seulement d’expliquer pourquoi il avait choisi la direction de Kiew. Les socialistes recommandaient vivement l’expédition ukrainienne, les uns sous prétexte qu’il appartenait à la Pologne, désormais indépendante, de soustraire une nation voisine au joug qui continuait de peser injustement sur elle, les autres, par haine de la Russie, plusieurs de leurs chefs ayant connu l’horreur des prisons tsaristes ou de l’exil sibérien. Enfin, au sein de la Diète et jusque dans le cabinet, que présidait alors M. Skulski, on trouvait des députés et des hommes d’Etat pour soutenir qu’il appartenait à l’État polonais de fixer lui-même, au besoin par une opération militaire, la frontière orientale que la Conférence de la Paix n’avait pas cru devoir arrêter définitivement. Entre la Russie et la Pologne, les Blancs-Russiens au Nord, les Ukrainiens au Sud formeraient deux États-tampons, dotés d’une large autonomie, mais placés néanmoins sous la protection polonaise. Cette politique se rattache à ce qu’on appelle en Galicie, avec un certain accent de réprobation, la « tradition Varsovienne. »