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seule, prouvait la justesse de ces observations, et ses successeurs ne s’étaient pas dégagés de la ligne de conduite qu’il leur avait tracée.

Sur ce point, les Historisch-politische Blätter nous apportent des analyses très sagaces. « Le développement de l’Empire, écrivent-elles, s’est opéré dans une forme jusqu’alors inconnue. Il se fait par le gouvernement personnel, non par celui d’un souverain qui s’élève au-dessus des partis, mais par celui d’un ministre, — Bismarck, — qui considère les groupes parlementaires comme le marchepied de sa toute-puissance. » Elles remarquaient encore que le parlementarisme d’Empire équivalait à un leurre : « Un parlement et un État militaire sont deux choses absolument incompatibles. » Au fond, comme le déclarait von Görne, il n’y avait pas de liberté, et il ne pouvait pas y en avoir ; l’Empire absorbait toutes celles qui étaient garanties par les constitutions particulières : « Il ne connaît que de nom la responsabilité gouvernementale. Ce qui existe n’est autre chose qu’une domination militaire enveloppée sous les formes du parlementarisme. »

Car la Prusse, créée par des soldats, ne pouvait se maintenir que par eux. Historiquement, on savait comment elle s’était toujours comportée. Lorsque Napoléon III avait fait aux cabinets européens des propositions de désarmement, elle avait répondu que son organisation reposait sur le principe du service universel et qu’il ne pouvait s’agir pour elle d’y renoncer. Moltke, le 15 juin 1868, avait dit qu’une puissance plus forte que toutes les autres pourrait empêcher la guerre, que cette puissance, il l’espérait, serait l’Allemagne Plus tard, en 1874, il était revenu sur sa déclaration : il avait alors annoncé qu’il faudrait cinquante années d’armements pour conserver le bien acquis, car l’Empire s’était fait respecter par sa victoire, mais sans conquérir les cœurs. À cette époque, le prêtre bavarois Sigl lui avait lancé l’anathème : « Le peuple allemand, écrivait-il, conduit à l’appauvrissement, à la ruine économique et sociale, au désespoir, tout cela, c’est le fruit amer de la dernière guerre sainte contre la France. » et il ajoutait, après avoir énuméré les dépenses militaires : « Ces chiffres ne font-ils pas frémir, surtout quand on songe que M. de Moltke laisse entrevoir à l’Allemagne le maintien d’un pareil système pendant cinquante ans ? »