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avancement, doit perdre toutes ses facultés critiques et s’humilier devant les puissances. Une sévère orthodoxie nivelle tous les esprits. Le Prussien des basses classes est maintenu dans une ignorance salutaire : « Veillons, dit une légende du Simplicissimus, à ce que dans nos écoles on n’exagère pas l’instruction ni les autres bêtises modernes. Si les enfants savent leur Notre Père et le nom de leur roi, cela suffit pleinement. » Il y a donc une oppression bureaucratique et policière qui pèse sur tous les sujets des Hohenzollern, dans le seul dessein de renforcer l’étatisme prussien. Cette oppression s’est manifestée au moment du Kulturkampf ; dans sa dureté draconienne, tenant en réserve des mesures qui sentent l’état de siège, elle demeure suspendue comme une menace sur toute la vie politique et sociale du peuple. « Ce que les autres nations, écrivent les Historisch-politische Blätter, reprochent souvent avec raison aux Allemands, tant a ceux qui vivent dans leur pays qu’à ceux qui sont fixés à l’extérieur, c’est l’esprit de domesticité si répandu parmi eux et si enraciné. Cet esprit, à l’origine tout à fait étranger au peuple allemand, lui a été imposé depuis deux siècles seulement par une bureaucratie omnipotente. Il est surtout répandu dans la Vieille-Prusse où dominent les Slaves, puis dans ce pays de Bade « si purement allemand. » Là où il se rencontre le moins, c’est en Westphalie, dans le Schlesvig, à Hambourg et dans la Vieille-Bavière.

En Prusse, le gouvernement n’a d’autre but que d’étouffer l’opinion publique et de sauvegarder les privilèges de la caste dominante. C’est à quoi tend le système électoral qui sévit dans les États des Hohenzollern et qui, partageant les citoyens en trois classes, favorise les plus puissants au détriment des autres. Les sentiments démocratiques des Bavarois se révoltent devant une injustice aussi aveuglante : « Faut-il faire toucher du doigt, s’écrie le publiciste Breitscheid, les beautés du droit électoral prussien ? On y découvre toutes les imperfections et toutes les infamies imaginables. Non seulement il donne aux riches le pas sur les pauvres, mais il prive ceux-ci de tous droits, car la première et la seconde classe sont toujours en situation d’écraser de leurs votes la troisième, contre les revendications de laquelle elles se sentent dans la plupart des cas solidaires. » Le système électoral prussien n’est en somme qu’une loi d’exception contre le peuple : en 1903, les