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d’eux, il n’est pas un détail qu’on n’ait interprété, pas de subtilité d’exégèse à laquelle on n’ait recouru pour pénétrer l’énigme de leur collaboration et pour arracher son secret au mystérieux chef-d’œuvre.

On peut espérer que la présente exposition fera faire un pas important à cette étude et permettra quelques découvertes. Déjà M. Jan Six avait remarqué qu’un personnage des « Chevaliers du Christ, » celui qui porte le chaperon du Bourgogne, portait précédemment une couronne, qui reste encore visible sous la nouvelle peinture. Depuis qu’on voit mieux le tableau, on peut y observer aisément plusieurs de ces reprises ou de ces « repentirs. » On pourra tirer de ces menus faits quelques conclusions imprévues. Surtout, en échappant à l’Allemagne, aux musées allemands et à la science allemande, le merveilleux tableau rentre dans son milieu et dans sa vérité.

Je ne puis dire ici tout ce qu’a fait l’Allemagne pour s’approprier le chef-d’œuvre et pour donner à croire qu’il était sien. L’acquisition des volets en 1821 par le gouvernement prussien, comme celle des volets de la Cène de Louvain par les frères Boisserée, est d’un temps qui est le prélude hégélien de la doctrine pangermaniste. C’est pour cette raison que la critique d’outre-Rhin s’est toujours tant intéressée au problème des van Eyck. Il s’agissait de démontrer que leurs origines artistiques les rattachaient à tout pays, plutôt qu’à Gand et à la Flandre. Les savants allemands ont toujours excellé à ces conjectures qui ressemblent à de vrais escamotages. Ainsi, parce qu’on trouve dans le tableau de l’Agneau des cyprès, des palmiers et un pin parasol, on veut que les van Eyck aient appris à peindre en Italie, comme si les peintres à cette époque n’avaient eu que ce moyen de connaître la flore méridionale, ou comme si ces plantes ne poussaient pas en Portugal, le seul pays où l’on soit sûr qu’un des deux frères ait voyagé. De là aussi le rôle prépondérant que l’on attribue à Jean van Eyck dans la peinture du retable, bien qu’on sache par les textes qu’il n’a pu y travailler que quelques mois, et que c’est son aîné au contraire qui en a fait tout l’essentiel. Mais on savait que Jean van Eyck avait été un moment au service de l’évêque de Liège, Jean sans Pitié, comte de Hollande ; on reconnaissait dans le lointain du tableau la tour d’Utrecht et peut-être la silhouette de Cologne, et cela suffisait pour construire tout un