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faire peindre sur l’autel de sa chapelle funéraire. Il faut imaginer, au pied de cet autel, la dalle et le caveau, le vague De profundis qui s’exhale toujours de ces demeures sépulcrales ; rappelez-vous aussi que l’auteur du tableau, l’illustre maître Hubert van Eyck, — Major quo nemo repertus, — fut enseveli lui-même à l’ombre de son chef-d’œuvre. Au-dessus, l’autel où le prêtre dit la messe et offre le sacrifice ; sur cet autel, le vaste retable déployant sur ses ailes tout le drame du salut, le rêve et le Credo de ces âmes ferventes : d’abord, le tableau du Purgatoire, d’où elles aspirent à leur délivrance ; plus haut, l’immense paysage, les verdures éternelles, les eaux vives, le lieu du rafraîchissement et de la paix, les campagnes que dentelle la frange de la Jérusalem céleste, les prairies où les anges, les vierges, les martyrs et les confesseurs adorent la divine Victime : — mélange de la terre et du ciel, de la double pairie, celle de la chair et celle de l’âme, monde transfiguré où l’on retrouve pourtant les éléments du notre, toute notre humanité glorieuse, toute l’Eglise jadis militante, désormais triomphante ; où la flore, les costumes, les somptueuses étoffes, la toison des prairies, jusqu’aux silhouettes connues des flèches et des clochers évoquent dans le Paradis les souvenirs de la terre : — enfin, à l’étage supérieur, suivant une hiérarchie rigoureuse et sacrée, les personnages ineffables, Dieu, la Vierge et saint Jean, dans un luxe prodigieux de trônes, d’auréoles, de costumes pontificaux et de joailleries, au milieu du concert et des psaumes sans fin des anges.


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Ce qui est étonnant, dans cette conception immense, c’est l’ordre, l’équilibre des masses pittoresques et la répartition des forces de l’orchestre. Qui se donnerait la peine d’étudier la rangée supérieure, la Trinité surnaturelle formée dans les hauteurs de l’œuvre par la triple figure de Dieu, de la Vierge et de saint Jean, les rapports de tons qui opposent la pourpre de l’Éternel au manteau vert du Précurseur et à l’outremer profond du manteau de la Vierge ; qui suivrait ces rapports sur la surface entière et dans les proportions relatives des étages ; qui observerait la symétrie de toute la construction, les deux groupes d’anges musiciens qui occupent la tribune à l’étage céleste, et se répondent comme deux chœurs ; qui analyserait dans le sujet principal le balancement des groupes et