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XII. — PAR LA FENETRE DU DEUXIÈME ÉTAGE

Il y avait des jours, où, lassée de mes jeux de l’escalier, je me risquais à m’introduire chez bon papa. S’il était devant son choubersky à réchauffer ses pauvres mains goutteuses toujours gelées, je m’asseyais à ses pieds, et je lui disais : « Papapa, raconte des histoires de quand tu étais petit. »

A vrai dire, bon papa me racontait toujours la même, celle des processions dans le grenier de sa mère, à Bordeaux : mon arrière-grand’mère avait fabriqué des poupées et, sur le désir de ce fils très délicat qu’elle idolâtrait, les avait habillées de tous les costumes du clergé ; il y avait des prêtres, un évêque, un suisse, des chantres, des enfants de chœur ; et bon papa, dans le grenier où il menait ses jeux d’hiver, chantait des messes, des saluts, des solennités grandioses. Je trouvais que cet heureux bon papa avait possédé une troupe autrement réussie que celle de mon théâtre d’enfant.

Quand il travaillait, je refermais la porte tout doucement, et je me glissais vers la fenêtre ; là, contre le rideau de reps vert ; j’avais mon petit fauteuil, un fauteuil proportionné à ma petite taille, et où il me serait impossible de m’asseoir aujourd’hui.

J’enlevais à la chaleur du choubersky et je prenais sur mes genoux le chat du moment. La charmante Trotte-menu, ayant exhalé sa petite âme affectueuse et tendre, fut remplacée par un certain Mistenflûte ; il déplut très vite à ma famille qui lui reprochait sa saleté et un caractère désagréable ; un jour, en rentrant de la promenade, je ne le trouvai pas à sa place habituelle sur mon édredon ; le petit creux qu’il y faisait était encore visible et tiède ; un affreux soupçon m’envahit ; je volai aux informations et on m’apprit sans ménagements que Mistenflûte avait été donné une heure avant à un ébéniste du quartier. Je retournai sur-le-champ à l’édredon et je remplis de mes larmes le petit creux encore tiède.

Il y eut Anastasie, femme du peuple autant qu’une chatte peut l’être, toujours sur la fenêtre de la cuisine et saluant d’un gros dos maigre et disgracieux tous les arrivants, sans distinction de sexe ni de condition.

Il y eut Oscar, superbe angora blanc, un peu sourd, qu’on vit arriver un matin, les reins à demi brisés ; mes mamans