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Nul ne doit aujourd’hui fouler leur robe grise,
Le coutre, au bord du champ, gît auprès de l’outil,
Sur l’herbe de l’enclos, le temps s’immobilise,
La paix du Créateur baigne l’humble courtil.

A l’aube, les six bœufs, sortis un peu plus vite,
Sont, en file indécise, allés boire au marais ;
Peut-être sentent-ils ce jour qui leur évite
La rudesse des traits.

Les filles ont donné la graine et rempli l’auge.
Au grouillement de la couvée et des troupeaux,
Puis, ayant arrosé les soucis et la sauge.
Ont rendu le logis à son large repos.

C’est le sommeil de toute chose, — hors la semence.
Heure étrange : on dirait que l’antique Merlin
A figé la batteuse et cloue au ciel immense
Les bras morts du moulin !




Et tout à coup, voici qu’éparpillant leurs gammes,
Les clochers d’alentour ébranlés à la fois,
Sur la douce nature et sur les douces âmes.
Versent l’ample réveil et l’appel de leurs voix.

Les chrétiens accourus à cette rumeur d’anges,
Un par un, se hâtant, les nomment en chemin :
Saint-Martin des Noyers et Saint-Vincent Sterlanges,
Saint-Mars et Saint-Germain.

Partout, les groupes noirs piquent le paysage.
On dirait les tronçons d’une procession.
Et les épis frôlés s’inclinent au passage
Comme pour se mêler à l’adoration.

Déjà l’église est pleine et l’oraison s’installe ;
Le vitrail fait danser des rayons violets
Et l’on entend tinter au chêne de la stalle
Le buis des chapelets.