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naires étaient venus défricher avec des moyens matériels dont la modicité étonne, avec un courage et une constance admirables ; où d’autres avaient apporté plus tard le concours de leur bonne volonté ; si bien qu’à en croire nos rivaux eux-mêmes, la France était devenue en Syrie indiscutablement souveraine ; « la Syrie est pénétrée jusqu’aux moelles d’influence française… »

Or, à Constantinople, en Syrie, et d’une façon générale dans tout l’empire ottoman, la guerre a été une entreprise contre notre langue et contre notre culture ; la plupart des écoles françaises ont été fermées ; les professeurs, quand ils n’avaient pu partir, persécutés, exilés. Les écoles ottomanes se sont installées dans nos locaux, ont pris notre mobilier scolaire, et ont connu pour la première fois la prospérité. On a institué des cours d’allemand : dans certaines villes, Adana, Alep surtout, la langue allemande a même commencé à se répandre. Cependant l’anglais continuait à être enseigné par les Américains, qui n’étaient pas en guerre avec la Turquie, et l’Université américaine de Beyrouth restait ouverte. Double concurrence, celle de nos ennemis et celle de nos amis.

Mais telle était la force de la tradition, telle la vitalité de notre langue, que dès la tempête passée, malgré sa violence et sa durée, malgré les efforts de nos alliés, les écoles françaises se sont rouvertes et les autres se sont vidées. Des journaux français, des revues françaises, sur l’initiative des indigènes, se fondent dans les grandes villes : comme cette Revue phénicienne, créée à Beyrouth par un groupe de jeunes gens dont pas un peut-être n’a mis le pied en France. Les librairies contiennent 80 pour 100 de livres français contre 10 p. 100 de livres arabes et 10 pour 100 de livres anglais. Le renouveau de l’hébreu dans les milieux sionistes de Palestine, la propagande en faveur de l’arabe dans les milieux pro-chérifiens, ne menacent pas sérieusement notre langue : il est même curieux de voir nos adversaires se servir du français pour argumenter contre nous. Il y a plus : malgré des interventions allemandes réitérées, la section française du lycée de Galata Seraï a fonctionné pendant toute la guerre. En 1917, une cérémonie célébrée pour le cinquantenaire de la fondation fut une fête française ; le programme comprenait des numéros en français qui furent spécialement applaudis ; le Comité Union et Progrès n’osa rien faire