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beaucoup à méditer, d’une part sur la mauvaise surveillance de nos avant-postes et de l’ensemble de la tête de pont, d’autre part, sur la médiocrité de nos liaisons, puisque je n’ai été mis au courant de rien pendant la nuit. Je prescris aussitôt de hâter la pose de réseaux Brun (nous n’avons pas autre chose) sur toutes les routes d’accès à Dixmude, et de n’ouvrir les ponts de l’Yser que de la quantité nécessaire pour laisser passer les détachements homme par homme. Cette dernière précaution semble évidente, et j’avais envisagé, plusieurs fois déjà, de mettre les deux ponts dans le sens de la rivière, sur la pile centrale, pendant la nuit. Je ne m’y résous cependant qu’à contre-cœur, parce qu’un obus malencontreux peut toujours immobiliser un pont dans cette position, en nous privant du moyen le plus rapide pour faire passer des renforts importants. Puis, je rappelle sévèrement aux divers échelons du commandement qu’ils doivent me tenir au courant, dès que possible, de tout ce qui se passe d’important et d’intéressant.

Entre temps, les prisonniers allemands arrivent à la gare de Caeskerke, au nombre de 109, dont un feldwebel tout jeune et encore porteur de son revolver. Pendant que les soldats sont mis en rangs et vident leurs poches, je fais interroger, en plein air, le feldwebel préalablement débarrassé de son browning, mais il est tellement arrogant et insolent, que je lui ordonne de me tourner le dos pour ne pas céder à la tentation qui me prend de le gifler.

Aussitôt retourné, le feldwebel, qui ne voit plus personne devant lui, délaie à toutes jambes, traverse un vaart assez large et profond, et s’enfuit dans le polder, désert de ce côté. Les marins de mon Quartier Général se lancent aussitôt à sa poursuite, et l’Allemand s’abat, percé de plusieurs balles, avant d’avoir parcouru 200 mètres. Mais l’interrogatoire le plus intéressant m’échappe du même coup.

Je reviens alors au groupe des soldats prisonniers, que j’ai grande envie de faire fusiller tous pour avoir assassiné le commandant Jeanniot, mon vieil ami de plus de trente ans, dont on rapporte au même moment le cadavre très abîmé de coups de baïonnette et de balles. Cependant, l’interrogatoire m’apprend que beaucoup de soldats allemands ont protesté quand ils ont reçu l’ordre de tuer leurs prisonniers. Comme le médecin Van Der Ghinst a assisté à la scène, je le prie de désigner les soldats