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et le reste s’enfuit vers l’Est, mais notre compagnie laisse aussi quelques marins sur le carreau. Au moment de reprendre sa marche, un soldat belge avertit le lieutenant de vaisseau Gamas qu’une cinquantaine d’Allemands l’attend un peu plus loin, et notre compagnie prend ses dispositions en conséquence. Les Allemands sont bien à l’endroit indiqué où ils se profilent nettement sur la lueur d’un petit incendie. Ils ont la maladresse de répondre « Allemands, » en français, au qui-vive de Gamas qui déclenche aussitôt un feu rapide à répétition. L’ennemi s’enfuit, non sans laisser beaucoup de cadavres sur la route et notre compagnie parvient aux tranchées sans autre aventure, mais avec des pertes elle-même.

Je suis mis au courant de cet incident peu de temps après, mais sous une forme très différente, car le fait m’est exposé comme une méprise entre deux compagnies de marins qui se sont embrochées l’une l’autre. Dans ces conditions, l’affaire me laisse surtout le souci d’empêcher à l’avenir des méprises aussi regrettables.

Vers 23 heures, toujours préoccupé par cet incident, je quitte mon Q. G. vraiment trop inconfortable, pour essayer de dormir dans une maison située de l’autre côté de la route, et que je trouve, d’ailleurs, tout aussi ouverte que la gare au vent et à la pluie. Vers 2 heures du matin, n’ayant pu dormir et sentant que j’ai pris froid, je me décide à retourner dans le bureau de la station, où je trouverai, du moins, un poêle pour me réchauffer. Mais, à peine y suis-je rentré, qu’une fusillade éclate, très proche, et je sors aussitôt, avec mon état-major, pour savoir ce qui se passe et arrêter ce que je crois être une nouvelle méprise. Nous voyons alors, sur la route, une colonne de marins et de Belges qui fuit vers l’arrière paraissant prise de panique, et nous lui barrons le passage en fermant nous-mêmes la barrière du passage à niveau, qui fonctionne encore. Puis j’essaie de refouler cette colonne vers Dixmude, mais nos efforts sont vains, et les fuyards déclarent que nos lignes ont été forcées par l’ennemi qui marche sur leurs talons. La fusillade cesse pendant ces pourparlers, et, ne pouvant me rendre compte de la situation, j’envoie Durand-Gasselin en reconnaissance sur la route, en le priant d’aller jusqu’au pont de Dixmude, s’il le peut. Durand-Gasselin parvient jusqu’aux abords du pont sans être inquiété, sans se douter non plus de ce qui vient de