Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 59.djvu/208

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ferons relevés. Après-demain peut-être je le reverrai. Sois donc rassurée et bien sage. Cesse de te tourmenter à cause de moi ; je vis, je ris, je vis, entends-tu, et jamais je n’ai tant aimé la vie, parce que ma vie est à toi, ma bien-aimée… » Mais il ne revint pas. Il fut l’un des soldats qui sont morts sur la tragique montagne. Il ne descendit du sommet sinistre et glorieux que pour être enterré au cimetière de Moosch, à l’ombre du drapeau tricolore, auprès du général Serret. Et Maria était enceinte.

Voilà le roman, terrible comme le temps où il se déroule.

Mais cette rude anecdote, que j’ai fidèlement résumée, M. Henry Bordeaux l’a, pour ainsi dire, transposée d’une manière qui la rend beaucoup plus belle et qui lui donne un charme de délicatesse ravissante. Il ne raconte pas, comme je l’ai fait pour que fût la différence plus sensible, cette histoire d’André Bermance et de Maria Ritzen directement : ce n’est pas lui qui la raconte d’un bout à l’autre ; mais l’épisode le plus audacieux, c’est Maria qui le raconte, et à qui ? à Mme Bermance. L’anecdote ne vous est pas offerte ainsi qu’on vous présente la réalité sous vos yeux ; et vous n’avez qu’à bien la regarder : M. Henry Bordeaux l’a transposée dans l’âme de Maria et de Mme Bermance. Le drame n’est pas exactement l’amour d’André Bermance pour Maria Ritzen, sa volupté nocturne et sa mort. Le drame est, aux lendemains de cette mort, l’émoi des survivants. Le héros du roman n’est pas André Bermance ; mais, plutôt, c’est le sort de Maria Ritzen, jeune fille et qui va être mère, qui tourmente notre sympathie ; autant que Maria, nous intéresse la pauvre Mme Bermance, pour qui se trouve un instant avili, en tout cas soumis à de grandes tribulations, le souvenir d’un fils qu’elle chérissait ; et, principalement, le drame est celui des âmes que la réalité met en contact avec la faute, après la faute et après qu’a disparu le coupable, digne d’amour et de tendresse.

Le roman, tel que je le résumais, ne serait qu’une aventure de guerre et de garnison. Le beau jeune homme, un fier soldat, séduit la jeune fille aguichée ; elle est grosse, quand il est tué. C’est une malchance, un incident vulgaire. Il y a déjà, pour donner à ce fait divers un caractère imposant, les circonstances de guerre et de mort, la qualité du coupable et de sa victime. Le séducteur a quitté la chambre de Maria pour monter à I’Hartmannsweilerkopf et y mériter la gloire du sacrifice le plus généreusement consenti. La jeune fille qu’il a séduite est l’une de celles qui sont redevenues des Françaises par le sacrifice de nos soldats, et, dans l’amour qui l’a